Page:Leblanc - Les Dents du Tigre, paru dans Le Journal, du 31 août au 30 octobre 1920.djvu/309

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ayant ressuscité sous les espèces d’un sultan des Mille et une Nuits, Arsène Lupin régnant, gouvernant, légiférant, pontifiant, je voulais, dans quelques années, je voulais, d’un coup de pouce, déchirer le rideau de tribus rebelles contre lesquelles vous vous exténuez au nord du Maroc, et derrière lesquelles, paisiblement et silencieusement, j’ai bâti mon royaume… Et alors face à face, aussi puissant qu’elle, voisin qui traite de pair à pair, je criais à la France : « C’est moi, Arsène Lupin ! L’ancien escroc, le gentleman cambrioleur, le voilà ! Le sultan de l’Adrar, le sultan d’Iguidi, le sultan d’El-Djouf, le sultan des Touareg, le sultan de l’Aouabuta, le sultan de Braknas et de Frerzon, c’est moi, sultan des sultans, petits-fils de Mahomet, fils d’Allah, moi, moi, moi, Arsène Lupin ! Et j’aurais, sur le traité de paix, sur l’acte de donation où je livrais un royaume à la France, j’aurais, au-dessous du paraphe de mes grands dignitaires, caïds, pachas et marabouts, signé de ma Signature légitime, de celle à laquelle j’ai pleinement droit, que j’ai conquise à la pointe de mon épée et par ma volonté toute-puissante : Arsène Ier, empereur de Mauritanie !

Toutes ces paroles, don Luis les prononça d’une voix énergique, mais sans emphase, avec l’émotion et l’orgueil très simple d’un homme qui a beaucoup fait et qui sait la valeur de ce qu’il a fait. On ne pouvait lui répondre que par un haussement d’épaules, comme on répond à un fou, ou par le silence qui réfléchit et qui approuve.

Le président du Conseil et le préfet de police se turent, mais leur regard exprima leur pensée secrète. Ils avaient la sensation profonde de se trouver en présence d’un exemplaire d’humanité absolument exceptionnel, créé pour des actions démesurées, et façonné par lui-même en vue d’une destinée surnaturelle.

Don Luis reprit :

— Le dénouement était beau, n’est-ce pas, monsieur le président du Conseil ? Et la fin couronnait dignement l’œuvre. J’aurais été heureux qu’il en fût ainsi. Arsène Lupin sur un trône, sceptre à la main, cela ne manquait pas d’allure. Arsène Ier, empereur de Mauritanie et bienfaiteur de la France. Quelle apothéose ! Les dieux ne l’ont pas voulu. Jaloux sans doute, ils me rabaissent au niveau de mes cousins du vieux monde, et font de moi cette chose absurde, un roi exilé. Que leur volonté soit faite ! Paix à feu l’empereur de Mauritanie. Il a vécu ce que vivent les roses.