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lui, il ne voulait plus que ses yeux en fussent torturés.

Mais il perçut le bruit, de plus en plus distinct, d’un pas qui s’en venait ! Il sentit une présence étrangère qui évoluait autour de lui ! Un bras se tendit ! Une main lui tenailla la chair d’une étreinte irrésistible ! Et il entendit des mots prononcés par une voix qui était, à ne s’y pas tromper, la voix humaine et vivante d’Arsène Lupin :

— Eh bien, voyons, cher monsieur, dans quel état nous mettons-nous ? Certes, je comprends tout ce que mon brusque retour a d’insolite et même d’inconvenant, mais enfin il ne faut pas se frapper outre mesure. On a vu des choses beaucoup plus extraordinaires, comme l’arrêt du soleil par Josué… ou des cataclysmes beaucoup plus sensationnels, comme le tremblement de terre de Lisbonne en 1755. Le sage doit ramener les événements à leur juste mesure, et ne pas les juger d’après leur action sur son propre destin, mais d’après leur retentissement sur la fortune du monde. Or, avouez-le, votre petite mésaventure est tout individuelle, et n’affecte en rien l’équilibre planétaire. Marc-Aurèle a dit, page 84 de l’édition Hachette…

L’infirme avait eu le courage de relever la tête, et la réalité lui apparaissait maintenant avec une telle précision qu’il ne pouvait plus se dérober devant ce fait indiscutable : Arsène Lupin n’était pas mort ! Arsène Lupin, qu’il avait précipité dans les entrailles de la terre et qu’il avait écrasé aussi sûrement que l’on écrase un insecte avec le fer d’un marteau, Arsène Lupin n’était pas mort !

Comment s’expliquait un mystère aussi stupéfiant, l’infirme ne pensait même pas à se le demander. Cela seul importait : Arsène Lupin n’était pas mort. Les yeux d’Arsène Lupin regardaient et sa bouche articulait, comme des yeux et comme une bouche d’homme vivant. Arsène Lupin n’était pas mort. Il respirait. Il souriait. Il parlait. Il vivait !

Et c’était si bien de la vie que le bandit avait en face de lui que, poussé soudain par un ordre de sa nature et par sa haine implacable contre la vie, il s’aplatit tout de son long, atteignit son revolver, l’empoigna et tira.

Il tira, mais trop tard. D’un coup de bottine, don Luis avait fait dévier l’arme.