Aller au contenu

Page:Leblanc - Les Dents du Tigre, paru dans Le Journal, du 31 août au 30 octobre 1920.djvu/91

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

IV. — Le rideau de fer

La tâche est parfois ingrate de raconter la vie d’Arsène Lupin, pour ce motif que chacune de ses aventures est en partie connue du public, qu’elle fut, à son heure, l’objet de commentaires passionnés, et qu’on est contraint, si l’on veut éclaircir ce qui se passa dans l’ombre, de recommencer tout de même, et par le menu, l’histoire de ce qui se déroula en pleine lumière.

C’est en vertu de cette nécessité qu’il faut redire ici l’émotion extrême que souleva en France, en Europe et dans le monde entier, la nouvelle de cette abominable série de forfaits. D’un coup, — car deux jours plus tard l’affaire du testament de Cosmo Mornington était publiée, — d’un coup, c’était quatre crimes que l’on apprenait. La même personne, en toute certitude, avait frappé Cosmo Mornington, l’inspecteur Vérot, l’ingénieur Fauville et son fils Edmond. La même personne avait fait l’identique et sinistre morsure, laissant contre elle, par une étourderie qui semblait la revanche du destin, la preuve la plus impressionnante et la plus accusatrice, la preuve qui donnait aux foules comme le frisson de l’épouvantable réalité, laissant contre elle l’empreinte même de ses dents — les dents du tigre !

Et, au milieu de ce carnage, à l’instant le plus tragique de la funèbre tragédie, voici que la plus étrange figure surgissait de l’ombre ! Voici qu’une sorte d’aventurier héroïque, surprenant d’intelligence et de clairvoyance, dénouait en quelques heures une partie des fils embrouillés de l’intrigue, pressentait l’assassinat de Cosmo Mornington, annonçait l’assassinat de l’inspecteur Vérot, prenait en main la conduite de l’enquête, livrait à la justice la créature monstrueuse dont les belles dents blanches s’adaptaient aux empreintes comme des pierres précieuses aux alvéoles de leur monture, touchait, le lendemain de ces exploits, un chèque d’un million, et, finalement, se trouvait le bénéficiaire probable d’une fortune prodigieuse.

Et voilà qu’Arsène Lupin ressuscitait !

Car la foule ne s’y trompa pas, et, grâce à une intuition miraculeuse, avant qu’un examen attentif des événements ne donnât quelque crédit à l’hypothèse de cette résurrection, elle proclama : don Luis Perenna, c’est Arsène Lupin.

— Mais il est mort ! objectèrent les incrédules.