Page:Leblanc - Les Heures de mystère, paru dans Gil Blas, 1892-1896.djvu/112

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immense besoin m’est venu de retarder. un peu l’heure de la déchéance. C’est cela qui m’a fait agir, inconsciemment.

» Oh ! mon ami, je ne crains pas que vous riiez de cette minute. De part et d’autre, elle fut sincère, j’en suis sûre. Une même ivresse nous unit, et un même souvenir nous restera. Mais il faut que cette minute soit la dernière. Une fois encore, vous m’avez donné, par votre amour et par votre désir, l’illusion d’être jeune. Soyez-en béni, cher enfant. Et ne m’en voulez pas de vous fuir, car le dégoût et l’écœurement inévitables que vous prendriez de moi bientôt me tueraient.

» Et, maintenant, je vais vieillir ; je ferai tout, même, afin de vieillir très vite. Je n’ai plus souci de mon corps inutile. Qu’il se flétrisse ! Que mes cheveux deviennent blancs ; que ma peau achève de se faner, et mes épaules, de se voûter, et mon cœur, de se glacer, — pour que s’éteigne enfin mon effroyable amour et que je puisse vous revoir, ô mon ami !… »

MAURICE LEBLANC
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