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LE CORPS DÉDAIGNÉ


Mon désir alla vers elle comme vers l’unique source de volupté.

Il y avait beaucoup de soleil au bord du lac, ce pour quoi sans doute elle s’était caché le visage sous une gaze si impénétrable qu’on ne le pouvait apercevoir. Mais sa robe très souple et très fidèle baisait les courbes de son corps. Et je ne pensai plus qu’il y eût d’autre demeure souhaitable que ce corps, ni d’autre nourriture, ni d’autre breuvage.

Elle passa plusieurs fois parmi les groupes d’étrangers que baignait l’ombre de quelques arbres. L’orchestre jouait une musique lente dont elle suivait le rythme avec l’ondulation de ses hanches. La mousseline rose de sa tunique semblait plutôt un reflet de chair. La brise, en moulant l’étoffe, révélait de mystérieuses choses. Elle était nue. Le désir de tous les hommes allait vers elle.

Je la revis quotidiennement, à la même heure, toujours masquée de son voile épais, toujours drapée en d’impalpables tissus de crêpe ou de soie. Elle offrait à la foule le spectacle charmant de son corps, comme d’autres exhibent des toilettes ou des formes de chapeau. On devinait que par gestes et attitudes elle s’ingéniait à donner aux regards le plus possible de sa personne secrète, et que c’était délices pour elle de fendre le flot des admirations et des concupiscences. Mais pourquoi se dissimuler au point que l’on doutait de sa jeunesse et de sa beauté ?

Je m’enquis. Elle habitait une villa solitaire. De vieux domestiques la servaient. Nul ne pénétrait en son logis et nul, dehors, ne l’avait contemplée,