Page:Leblanc - Les Heures de mystère, paru dans Gil Blas, 1892-1896.djvu/151

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les fleurs d’amour. Il fut à moi le merveilleux bouquet des seins, et je l’effeuillais selon ma fantaisie, et j’en respirais l’arôme profond. Ils furent à moi les bras blancs qui m’entouraient le cou d’une guirlande de fraîcheur. À moi aussi, les hanches, grand calice où le désirs bourdonnent.

— Je t’aime, disais-je au corps, je t’aime, être vivant qui reçois ma vie et qui me rends la tienne.

Je l’aimais infiniment et rageusement. Je ne concevais pas d’autre joie. Et, néanmoins, il me parut à la longue qu’il n’avait point d’âme et que c’était simplement de la vie, de la vie accumulée devant moi en un bloc superbe. Ainsi peu à peu j’aspirai au secret du visage qui se dérobait toujours derrière le mur de ses voiles. Et je la suppliais.

— Aime mon corps, gémissait-elle, je t’aime tant d’aimer mon corps… Le reste, n’en aie pas souci…

Je retournais au festin de volupté. Ma faim s’y délectait, inassouvie. Mais, à tout instant je m’inclinais vers l’énigme indéchiffrable, et je demandais :

— Qui donc es-tu ? Jeune ou vieille, belle ou laide ? Ne comprends-tu pas le supplice de croire que tu es peut-être horrible, lépreuse, repoussante ? Je m’imagine parfois que c’est une tête de mort que tu enfouis dans le sépulcre de cette dentelle.

— Aime mon corps… il est beau et tu le vois… que t’importe le reste !

— L’aimer, criais-je éperdu, ce n’est pas t’aimer, et ne veux-tu pas que je t’aime, toi ?

— Je n’ai besoin d’amour que pour lui.

Mais, une nuit, elle dut saisir au fond de mon regard quelque idée de révolte provoquée par l’excès de ma souffrance, car elle me dit :

— Tu l’auras voulu… sache bien cependant que c’est jouer ton bonheur.

— Tout, proférai-je, tout plutôt que ma torture actuelle.