Page:Leblanc - Les Heures de mystère, paru dans Gil Blas, 1892-1896.djvu/168

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il récriminait aussi contre ces absences. Par pitié, elle se taisait, ce qui le stimulait à exiger davantage. Il n’admettait pas qu’elle lui fût fidèle. Aussitôt dehors, pensait-il, elle courait à quelque rendez-vous, et lui, l’infirme, servait de risée aux gens du pays.

À la fin, il lui défendit de sortir ; elle eut une courte révolte et s’échappa. Mais, en rentrant, elle aperçut des larmes sur les joues du malade. Et il dit :

— Comme il faut que tu l’aimes !

— Je n’aime personne, affirma-t-elle, et, pour vous le prouver, je fais le serment de ne plus jamais quitter cette chambre.

Et c’est ainsi qu’à vingt ans Mathilde fut emprisonnée. Elle vécut sans distractions ni espérances. La jalousie de Vourdane ne désarmait pas. Conscient de son égoïsme féroce, par rage, il l’exagérait. Il avait choisi comme chambre une vaste pièce située derrière la maison. De la sorte, Mathilde était privée du mouvement de la route et condamnée à l’horizon étroit d’un verger et d’une carrière déserte. Et elle regrettait surtout l’apaisement du grand fleuve, la gloire des midis sur les eaux pailletées, la mélancolie des crépuscules dans le miroir profond de l’onde.

Parfois, elle ouvrait la fenêtre et s’accoudait au balcon. Il l’en empêcha. Qui sait ? peut-être un homme se cachait-il entre les arbres du jardin.

— Ferme les rideaux, reste ici : tu n’as pas besoin de te montrer aux passants.