Page:Leblanc - Les Heures de mystère, paru dans Gil Blas, 1892-1896.djvu/178

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Il éprouva un grand soulagement. Il avait reconquis sa liberté ! Afin de bien marquer cette victoire, il fit ses malles et partit pour l’Italie, sans laisser d’adresse.

Les premiers jours, sa joie persista. Consciencieusement, il rendait aux musées et aux églises les visites de rigueur. Les soirs, seuls, lui pesaient. Quelle tristesse, l’arrivée dans les villes inconnues, où tout passant ne peut que vous être un étranger !

Ce malaise s’étendit aux repas, si mélancoliques à ceux que froisse la promiscuité des tables d’hôte. Et dans les rues, et dans les trains, et dans les chambres banales, il souffrit d’une gêne vague, dont il ne cherchait même pas le motif, ne la remarquant pas encore.

À la longue, le besoin instinctif de la combattre lui fit désirer le repos. L’île de Capri le séduisant, il s’installa.

Les promenades y sont délicieuses. Le golfe de Naples et le Vésuve s’y révèlent de couleur plus attrayante et de lignes plus parfaites ; l’eau qui baigne le pied des hautes falaises est transparente comme de l’air pur, et, au gré des barques molles, les rêves flottent parmi la griserie des orangers, le trouble des myrtes et le calme des crépuscules.

Pourtant il ne savourait pas ces voluptés. Il les collectionnait, parce qu’elles sont obligatoires ; mais leur poésie le laissait froid. Et, un jour, il se prit à dire :

— Ne faudrait-il pas être deux ?

Instantanément, triomphalement, le souvenir de Marthe le heurta. Il sourit :

— Pourquoi pas ?