Page:Leblanc - Les Heures de mystère, paru dans Gil Blas, 1892-1896.djvu/20

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Puis, après quelques minutes, sous la robe de la Vierge, une trappe bâillait. Et le mort, lacéré en morceaux, tombait dans un abîme où le recueillaient des lames de couteau placées en travers.

Oh ! l’horrible Vierge ! Je la contemplais en frissonnant. Et, quand, sorti de cet enfer, j’eus gagné la grande cour, d’où l’on domine l’antique cité allemande, la plus curieuse ville qui soit peut-être, je ne pensais qu’à elle, la terrifiante Vierge, qui, durant tout le moyen âge, pesa sur ces maisons, versant l’épouvante par ces rues étroites qui dégringolent du vieux château vers les vieilles tours crénelées des fortifications.

Une vision s’imposait à moi, évocation de supplice où s’accomplissait l’innommable mariage d’un homme et de la Vierge. La Vierge ouvrait ses flancs pour le grand baiser de mort, épousée impudique qui s’offrait à la possession. Et l’homme entrait en elle. Et c’était un moment de solennité affolante et d’angoisse atroce, la minute où agonisait l’homme en souffrances inconnues, tandis que le monstre souriait de son très gros visage impassible.

Une heure s’écoula. Je m’assis sur un banc. La chaleur était accablante. Je m’assoupis. Et j’eus ce rêve, où ma vision tentait de se réaliser.

Le bourreau m’amena dans la chambre de la Vierge et me dit :

— Voilà ta femme. Elle est prête : entre en elle. Je reviendrai quand tout sera consommé.

Il nous laissa seuls. Les mains liées, à genoux, je tremblais de peur. Mais la Vierge, s’animant, vint vers moi, défit mes liens et me serra contre elle en ses bras puissants, et elle prononçait tout bas, d’une voix étrangement douce :

— Ne crains rien, petit, ne crains rien : je ne te ferai pas de mal.