Page:Leblanc - Les Heures de mystère, paru dans Gil Blas, 1892-1896.djvu/60

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Un événement transforma cette existence. À l’anniversaire de sa trente-septième année, un matin d’octobre — date inoubliable — elle aperçut un homme qui jetait une portée de chiens dans un étang. Elle s’approcha, indignée. Une seule bête restait, toute blanche, poilue.

— La voulez-vous, mademoiselle ? dit l’homme. C’est la plus jolie. Regardez ce signe noir sur le front… Vous pourrez l’appeler Léda, puisqu’on parle toujours de Léda et de son signe.

Elle emporta la bête.

Elles vécurent heureuses. La chienne grandit et embellit. Angélique eut enfin une compagne. Elle la chérit de toutes les forces affectueuses qui dormaient en elle. On s’attache aux êtres en raison du temps qu’on leur consacre et l’on fractionne ainsi son cœur entre ses devoirs de fils, de sœur, d’amant ou d’épouse. Mademoiselle Lebaudru n’eut qu’un amour, qu’une occupation, sa chienne. Léda devint l’amie. Sa maîtresse la consultait. Elles avaient d’interminables conversations. Elles mangeaient à la même table. La même chambre abritait leur sommeil.

Au bout de quelques années, dans le pays, on s’habitua si bien à les voir ensemble et à ne jamais penser à l’une sans penser à l’autre qu’on finit par les englober sous un seul nom. On les appela ces demoiselles Lebaudru. M. le curé lui-même disait :

— Je sors de chez ces demoiselles Lebaudru.