Page:Leblanc - Les Huit Coups de l’horloge, paru dans Excelsior, 1922-1923.djvu/27

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— C’est eux que vous épiez ? demanda-t-elle.

— Oui, le frère et la sœur.

— Vous êtes sûr qu’ils se risqueront ?…

— Attention ! les voici.

Il sortit rapidement.

Au débouché de la rue principale, un monsieur et une dame avançaient d’un pas indécis, comme s’ils n’eussent point connu l’endroit. Le frère était un petit homme chétif, au teint olivâtre, coiffé d’une casquette d’automobiliste. La sœur, petite aussi, assez forte, vêtue d’un grand manteau, leur parut une femme d’un certain âge, mais belle encore sous la voilette légère qui lui couvrait la figure.

Ils virent les groupes qui stationnaient et s’approchèrent. Leur marche trahissait de l’inquiétude et de l’hésitation.

La sœur aborda un matelot. Dès les premières paroles, sans doute lorsque la mort d’Imbleval lui fut annoncée, elle poussa un cri et tâcha de se frayer un passage. Le frère, à son tour, s’étant renseigné, joua des coudes et proféra en s’adressant aux douaniers :

— Je suis un ami d’Imbleval… Voici ma carte, Frédéric Astaing… Ma sœur, Germaine Astaing est intime avec Mme d’Imbleval !… Ils nous attendaient… Nous avions rendez-vous !…

On les laissa passer. Sans un mot, Rénine, qui s’était engagé derrière eux, les suivit, accompagné d’Hortense.

Au deuxième étage, les d’Imbleval occupaient quatre chambres et un salon. La sœur se précipita dans l’une de ces chambres et se jeta à genoux devant le lit où l’on avait étendu le cadavre. Thérèse d’Imbleval se trouvait dans le salon et sanglotait au milieu de quelques personnes silencieuses. Le frère s’assit près d’elle, lui saisit les mains ardemment et prononça d’une voix qui tremblait :

— Ma pauvre amie… ma pauvre amie…

Rénine et Hortense examinèrent longtemps le couple qu’ils formaient, et Hortense chuchota :

— Et c’est pour cet individu qu’elle aurait tué ? Impossible !

— Cependant, fit remarquer Rénine, ils se connaissent, et nous savons que Frédéric Astaing et sa sœur connaissent une tierce personne qui était leur complice. De sorte que…

— Impossible ! répéta Hortense.

Et, malgré toutes les présomptions, elle éprouvait pour la jeune femme une telle sympathie que, Frédéric Astaing s’étant levé, elle alla s’asseoir auprès de Mme d’Imbleval et la consola d’une voix douce. Les larmes de la malheureuse la troublaient profondément.

Rénine, lui, s’attacha dès l’abord à la surveillance du frère et de la sœur, comme si cela eût eu de l’importance, et il ne quitta pas des yeux Frédéric Astaing qui, d’un air indifférent, commença une inspection minutieuse de l’appartement, visita le salon, entra dans toutes les chambres, se mêla aux groupes, et posa des questions sur la façon dont le crime avait été commis. Deux fois, sa sœur vint lui parler. Puis il retourna près de Mme d’Imbleval et s’assit de nouveau à ses côtés, plein de compassion et d’empressement. Enfin, il eut avec sa sœur, dans l’antichambre, un long conciliabule à la suite duquel ils se séparèrent, comme des gens qui se sont mis d’accord sur tous les points. Frédéric s’en alla. Le manège avait bien duré trente à quarante minutes.

C’est à ce moment que déboucha devant les chalets l’automobile qui amenait le juge d’instruction et le procureur. Rénine, qui n’attendait leur arrivée que plus tard, dit à Hortense :

— Il faut se hâter. À aucun prix ne quittez Mme d’Imbleval.

On fit prévenir les personnes, dont le témoignage pouvait avoir quelque utilité, qu’elles eussent à se réunir sur la plage où le juge d’instruction commençait une enquête préliminaire. Il devait ensuite se rendre auprès de Mme d’Imbleval. Toutes les personnes présentes sortirent donc. Il ne restait que les deux gardes et Germaine Astaing.

Celle-ci s’agenouilla une dernière fois près du mort, et, courbée devant lui, la tête entre ses mains, pria longuement. Ensuite elle se releva et elle ouvrit la porte de l’escalier quand Rénine s’avança.

— J’aurais quelques mots à vous dire, madame.

Elle parut surprise et répliqua :

— Dites, monsieur. J’écoute.

— Pas ici.

— Où donc, monsieur ?

— À côté, dans le salon.

— Non, fit-elle vivement.

— Pourquoi ? Bien que vous ne lui ayez même pas serré la main, je suppose que Mme d’Imbleval est votre amie ?

Il ne lui laissa pas le temps de réfléchir, l’entraîna vers l’autre pièce dont il ferma la porte, et, tout de suite, se précipitant sur Mme d’Imbleval qui voulait sortir et regagner sa chambre, il dit :

— Non, madame, écoutez, je vous en conjure. La présence de Mme Astaing ne doit pas vous éloigner. Nous avons à causer de choses très graves, et sans perdre une minute.