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Page:Leblanc - Les Huit Coups de l’horloge, paru dans Excelsior, 1922-1923.djvu/36

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— Si. Je me suis enquis de ce qu’était devenue Rose-Andrée. Votre sœur a voyagé cet été, puis elle est restée une quinzaine dans le département de l’Eure où elle possède une propriété, précisément la chaumière où l’on a tourné la Princesse Heureuse. Appelée en Amérique par un engagement, elle est revenue à Paris, a fait enregistrer ses bagages à la gare Saint-Lazare, et s’en est allée le vendredi 18 septembre avec l’intention de coucher au Havre et de prendre le bateau du samedi.

— Le vendredi 18… balbutia Hortense… le même jour que cet homme… Il l’aura enlevée.

— Nous allons le savoir, dit Rénine. Clément, à la Compagnie Transatlantique.

Cette fois, Hortense l’accompagna dans les bureaux et s’informa elle-même près de la direction.

Les recherches aboutirent rapidement.

Une cabine avait été retenue par Rose-Andrée sur le paquebot La Provence. Mais le paquebot était parti sans que la passagère se fût présentée. Le lendemain seulement, on recevait au Havre un télégramme, signé Rose-Andrée, annonçant un retard et demandant que l’on gardât les bagages en consigne. Le télégramme venait de Dreux.

Hortense sortit en chancelant. Il ne semblait pas possible que l’on pût expliquer toutes ces coïncidences autrement que par un attentat. Les événements se groupaient selon l’intuition profonde de Rénine.

Prostrée dans l’automobile, elle l’entendit qui donnait comme adresse la préfecture de police. Ils traversèrent le centre de Paris. Puis elle resta seule sur un quai quelques instants.

— Venez, dit-il en ouvrant la portière.

— Du nouveau ? On vous a reçu ? demanda-t-elle anxieusement.

— Je n’ai pas cherché à être reçu. Je voulais seulement me mettre en rapport avec l’inspecteur Morisseau, celui qui me fut envoyé l’autre jour, dans l’affaire Dutreuil. Si l’on sait quelque chose, nous le saurons par lui.

— Eh bien ?

— À cette heure-ci, il est dans un petit café, que vous voyez là-bas sur la place.

Ils y entrèrent et s’assirent devant une table isolée où l’inspecteur principal lisait son journal. Tout de suite, il les reconnut. Rénine lui serra la main, et, sans préambule :

— Je vous apporte une affaire intéressante, brigadier, et qui peut vous mettre en relief. Peut-être d’ailleurs êtes-vous au courant ?…

— Quelle affaire ?

— Dalbrèque.

Morisseau parut surpris. Il hésita, et d’un ton prudent :

— Oui, je sais… les journaux ont parlé de ça… vol d’automobile… vingt-cinq mille francs barbotés… Les journaux parleront aussi demain d’une découverte que nous venons de faire à la Sûreté, à savoir que Dalbrèque serait l’auteur d’un assassinat qui fit beaucoup de bruit l’an dernier, celui du bijoutier Bourguet.

— Il s’agit d’autre chose, affirma Rénine.

— De quoi donc ?

— D’un enlèvement commis par lui, dans la journée du samedi 19 septembre.

— Ah ! vous savez ?

— Je sais.

— En ce cas, déclara l’inspecteur qui se décida, allons-y. Le samedi 19 septembre, en effet, au Havre, en pleine rue, en plein jour, une dame qui faisait des emplettes fut enlevée par trois bandits dont l’automobile s’enfuit à toute allure. Les journaux ont rapporté l’incident, mais sans donner le nom de la victime ni des agresseurs, et cela pour cette bonne raison, c’est qu’on ne savait rien. C’est seulement hier que, envoyé au Havre avec quelques hommes, j’ai réussi à identifier un des bandits. Le vol des 25,000 francs, le vol de l’auto, l’enlèvement de la jeune femme, même origine. Un seul coupable : Dalbrèque. Quant à la jeune femme, aucun renseignement. Toutes nos recherches ont été vaines.

Hortense n’avait pas interrompu le récit de l’inspecteur. Elle était bouleversée. Quand il eut fini, elle soupira :

— C’est effrayant… la malheureuse est perdue… il n’y a aucun espoir…

S’adressant à Morisseau, Rénine expliqua :

— La victime est la sœur, ou plus exactement la demi-sœur de madame… C’est une interprète de cinéma très connue, Rose-Andrée…

Et, en quelques mots, il raconta les soupçons qu’il avait eus en voyant le film de la Princesse Heureuse et l’enquête qu’il poursuivait personnellement.

Il y eut un long silence autour de la petite table. L’inspecteur principal, cette fois encore, confondu par l’ingéniosité de Rénine, attendait ses paroles. Hortense l’implorait du regard, comme s’il pouvait aller du premier coup jusqu’au fond du mystère.

Il demanda à Morisseau :