Page:Leblanc - Les Lèvres jointes, paru dans Le Journal et La Lanterne, 1897-1901.djvu/151

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donnait l’illusion de l’amour, de l’amour idéal, de l’amour entrevu dans leurs rêves les plus téméraires. Celles qu’il choisissait ne mouraient pas sans avoir été aimées.

Et il advint qu’il ne se soucia plus de la beauté. Il n’y faisait plus attention. Que lui importait qu’elles fussent belles, pourvu qu’elles fussent heureuses ! Le spectacle est monotone des formes toujours parfaites, tandis que la félicité a mille aspects divers, se manifeste par des preuves inattendues et touchantes.

Un jour, il s’éprit d’une qui était déjà flétrie, presque vieille. Et ce fut une révélation. Ah ! celle-là, celle-là l’aima ! Elle fut heureuse comme aucune ne l’avait été par lui. Celles qui sont belles et jeunes ont la joie de leur beauté et de leur jeunesse, et l’on n’y fait qu’ajouter d’autres joies qui, certes, ne la valent point. Mais à celles qui ne sont ni belles ni jeunes, on redonne la jeunesse et la beauté. Il les préféra, et auprès d’elles il recevait des impressions inconnues. Quelle ivresse dans leurs pauvres yeux las ! Quelle résurrection charmante de leur pauvre corps fatigué !

Mais il y a aussi celles qui n’ont même pas été belles, celles qui n’ont jamais de jeunesse, il y a les laides. Son instinct les lui révéla. Et c’est vers les laides qu’il voulut aller, dans un grand élan généreux. Il leur apporterait leur part de béatitude. Il apprendrait l’espérance à celles qui n’ont pas le droit d’espérer. Leur bouche s’entr’ouvrirait au baiser, leurs seins se gonfleraient de vie, aussi bien que les bouches les plus fraîches, que les seins les plus magnifiques.

Il en choisit une qui l’émut davantage parce qu’elle était consciente de sa disgrâce. Elle avait des yeux de tristesse, une attitude humble et le désir de n’être pas remarquée. Dès l’abord, elle fut