Page:Leblanc - Les Lèvres jointes, paru dans Le Journal et La Lanterne, 1897-1901.djvu/19

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Qui était-ce ! Je cherchai. Je fis une enquête minutieuse de rue en rue, presque de maison en maison. Au déclin du jour, j’errais parmi les ormes du mail, d’où l’on voit l’immensité des salines et la courbe lointaine de la mer. Nul indice ne me mit sur la voie.

J’épiai surtout les chastes demoiselles qui s’agenouillent aux alentours du chœur, dans la cathédrale, et qui prient sous la clarté silencieuse des vitraux.

Un matin, à la poste, j’entendis quelqu’un qui demandait tout bas à l’employé :

— Y a-t-il une lettre pour M. P. 22 ?

C’était un garçon de café, assez malpropre, de tenue mauvaise. On lui donna ma dernière lettre.

Je le suivis. Il s’en alla vers les remparts et prit une impasse tortueuse bordée de jardins. Une maison la ferme. Il entra. Maison louche, aux volets clos.

J’y frappai, le soir. Au salon m’accueillirent cinq filles. J’examinai leurs figures bestiales, leurs chairs fatiguées.

— Est-ce tout ? demandai-je.

On appela : « Charlotte. » Après quelques minutes, descendit celle qui répondait à ce nom. Elle s’arrêta un moment, hésitante, puis vint à moi et me dit :

— C’est moi, c’est bien moi que vous cherchez.

Elle me parut plutôt laide. Elle avait une longue chemise de gaze noire qui révélait un corps mince et gracieux. Des rubans roses, de mauvais goût, cerclaient la taille et les poignets. La poitrine était très jeune