Page:Leblanc - Les Lèvres jointes, paru dans Le Journal et La Lanterne, 1897-1901.djvu/44

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ser des lettres. Quand vos regards se désirent, regardez-vous franchement, Vous avez de très jolis yeux, cela ne peut m’ennuyer de les voir s’attendrir. En un mot, je veux bien être cocu, je ne veux pas être trompé. Il s’assit entre eux et leur prit la main :

— Soyons francs, soyons sincères. À deux, on est faible dans la vie, — à trois, fort. Seulement, à la condition de bien s’entendre et de savoir au juste ce que l’on peut espérer les uns des autres. Remarquez-le, il ne s’agit pas simplement de vos rapports avec moi, il s’agit aussi de votre situation, à tous deux. Or elle repose sur un mensonge.

Ils tressautèrent, indignés d’une telle accusation. Il repartit :

— Oui, un mensonge, et je tiens à ce que le malentendu cesse. Voici : Louise vous a juré, n’est-ce pas, Raoul, qu’elle ne m’appartenait pas ? Elle mentait. Elle m’appartient, et… souvent… très souvent.

Raoul baissa la tête, atterré. Louise, rouge de honte, se taisait. Le mari continua :

— Que voulez-vous ! nous avons chacun notre part, Je me suis marié, moi, pour ne plus courir de droite et de gauche et pour trouver chez moi ce qui m’est indispensable. Il m’est égal de n’avoir plus le cœur de ma femme : je veux sa chair, je veux ses sens. Eh bien, je les ai. Elle vous adore, c’est vrai elle se tuerait pour vous. Mais, voilà, c’est une femme, et vous ne lui suffisez pas. Il y a des sensations que vous êtes incapable de lui donner. Vous êtes trop chétif, de poitrine trop faible, d’expérience trop rudimentaire. Moi, je suis robuste, mon étreinte est vigoureuse, et… et j’ai tout un passé…

Méchamment, il insista :

— Surtout ne croyez pas qu’elle se donne à contre-cœur, en rechignant, et que je sois obligé de la supplier. Non, mille fois non. Elle y vient d’elle-même. Au besoin, elle m’y forcerait par ses coquetteries et ses avances. Si je vous disais que mes meilleurs moments, je vous les dois. Oui, au sortir de vos rendez-vous, elle est insatiable. Vos baisers excitent ses sens, et comme vous ne pouvez les satisfaire, c’est à moi qu’elle s’adresse. Non, en vérité, je ne suis pas, je ne puis pas être jaloux de vous.