Page:Leblanc - Les Lèvres jointes, paru dans Le Journal et La Lanterne, 1897-1901.djvu/51

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Oh ! je me rappelle, là, entre ces deux arbres… la même lune… aussi calme, aussi blanche. Et je ne sais pas ce que j’ai senti… je n’avais jamais senti cela, et je ne l’ai jamais ressenti, depuis… ça doit être ce que tu sens… Mon cœur tremblait… j’étais toute petite et aussi plus grande qu’à l’ordinaire… et toute fraîche… Et puis, j’ai entendu sa voix… Oh ! sa voix, c’était tout au fond de moi qu’elle parlait… Et puis, il m’a pris les mains… et puis il m’a entourée de ses bras…

Elle s’arrêta. J’étais bouleversé. Je lui dis avec une angoisse inexprimable :

— Alors… alors, moi ?

— Oui, oui, murmura-t-elle… c’est ici que je t’ai eu…

Je la regardai éperdument, je regardai la rivière, les peupliers, le ciel. Était-ce de la joie, de la douleur qui me soulevait ? Elle balbutia :

— Je ne comprends pas… il ne m’a pas dit un mot d’amour… Une autre fois, j’ai aimé un homme beaucoup… et il m’aimait… pourtant, je n’ai pas cédé… Mais, ce jour-là, il a fallu… je me suis donnée de tout mon être… et je ne sais même pas son nom… Oh ! pardon… pardon…

Je me jetai à ses genoux.

— Tais-toi, tais-toi, ne me demande pas pardon… Oh ! ma mère chérie, ne regrette rien ! Je suis heureux. Sois heureuse de ce que tu as fait… Que m’importe l’homme à qui tu as appartenu !… Ce n’est pas mon père, je te le jure…

J’étais fou. Je lui baisais les mains. Je sanglotais.