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Les Deux mères



Il suffit que ma carte d’état-major fasse mention d’un château, pour que je me détourne de mon chemin dans l’espoir de découvrir quelqu’une de ces vieilles demeures où dort le passé ; mais ce mot d’Etennemare m’attirait en outre par le souvenir d’un nommé Louis d’Etennemare que j’avais connu au lycée et qui nous semblait fort différent de nous tous. En quoi différait-il de nous ? Aucun n’aurait su le dire, mais les enfants n’ont pas besoin de faits ni de preuves pour accepter les jugements que leur suggèrent leurs instincts. Une double curiosité me poussa donc. Elle fut amplement satisfaite.

De la route de Veules, on aperçoit, sur la lisière d’un bois, le petit château d’Etennemare. Il est en briques, composé d’un corps de logis bas et long et de deux ailes importantes. Une cour d’honneur, parée et ornée de balustrades en pierre, le précède et lui donne un petit air solennel. J’admirais l’harmonie de ses proportions, quand j’entendis un bruit de pas, derrière moi. Quelqu’un s’en venait vers la grille. Je reconnus mon ancien camarade. Il me reconnut aussi.

Il avait peu changé, ayant toujours ces regards vagues, ces allures déconcertantes, enfin ce quelque chose de singulier qui nous étonnait autrefois.