Page:Leblanc - Les Lèvres jointes, paru dans Le Journal et La Lanterne, 1897-1901.djvu/67

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Mais un cri de terreur lui échappa. L’homme sautait de la barque, s’accrochait au mur, s’aidait du balcon et, la repoussant, bondissait dans la chambre. Ce n’était pas Georges !


Il ferma la fenêtre derrière lui et marcha vers Gertrude. Elle le reconnut alors. C’était un grand diable de fermier, une sorte de brute à cheveux roux et à l’encolure puissante, qui la poursuivait, depuis un an, de son désir silencieux. Il rôdait souvent autour du manoir. Quand elle se promenait, des bruits de pas l’accompagnaient de l’autre côté des haies touffues. Il lui faisait peur avec ses regards de fou. La veille, pour la première fois, il avait voulu lui parler. Elle s’était enfuie. Il avait couru après elle, lui jetant des pierres dont l’une fouetta ses jupes.

Elle se sentit perdue. Elle essaya d’appeler à son secours. À quoi bon ? Ses cris s’éteignaient dans l’énorme silence. Elle joignit les mains, prête à s’agenouiller. Il sourit en ses poils rudes. Elle s’empara d’un flambeau de bronze et le brandit au-dessus de sa tête. Mais il fit quelques pas encore, les poings formidables, les traits tordus de rage. Et elle laissa tomber son arme.

Il n’y avait rien à faire. Elle comprit qu’à la moindre résistance, au moindre geste, il la tuerait. Elle en eut envie, de cette mort, comme du seul refuge. Mais la vie était en elle, irréductible à une telle lâcheté, ivre de force et de jeunesse. Et puis, elle en eut l’intuition brusque : morte ou vivante, que lui importait, à ce rustre, pourvu qu’il imprimât sa souillure ?

Elle le regarda. Elle vit la volonté de ses doigts velus, ployés au bout de ses paumes comme des tenailles, Elle vit la volonté de ses yeux en sang, de sa bouche de fauve. Il n’y avait rien à faire. Il était le maitre. Il fallait mourir ou se livrer. Elle pensa à