Page:Leblanc - Les Milliards d'Arsène Lupin, paru dans L'Auto, 1939.djvu/7

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moment. Quand nous ne pourrons pas être entendus, surpris…

— Alors, il me faut une preuve de notre accord… de ta bonne volonté… Un baiser et je te laisse. »

Patricia s’affolait. L’homme sentait l’alcool ; elle devinait son visage grimaçant tout contre son visage à elle. Des lèvres enfiévrées se posaient sur son cou ou sur ses joues, cherchant ses lèvres qu’elle détournait… et toujours cette voix près de son oreille :

« Je t’aime, Patricia. Comprends-tu ce que c’est qu’un amour qui doublerait une association comme celle que nous pourrions former, toi et moi. Les deux Allermy, ce sont des incapables, des fantoches… Moi, ce sont toutes tes ambitions que je devine, que je sais, réalisées, dépassées. Aime-moi, Patricia. Il n’y a pas au monde un autre homme de ma qualité, de ma puissance cérébrale, qui ait ma volonté, mon énergie. Ah ! tu faiblis, Patricia, tu m’écoutes, tu es troublée… »

Il disait vrai. Malgré sa révolte et son dégoût, elle subissait un désarroi, un vertige bizarre, qui l’entraînait vers le plus effroyable dénouement.

L’homme eut un ricanement sourd.

« Allons, tu consens, Patricia… Tu ne peux plus résister. Tu es au bord du gouffre. Pauvre petite, ce n’est pas parce que tu es une femme, ne crois pas ça !… Tout le monde devant moi éprouve ce désarroi, cette détresse. Ma volonté domine, renverse l’obstacle, le brise… Et on est presque heureux, n’est-ce pas, de remettre entre mes mains sa destinée. Avoue-le… Et n’aie pas peur. Je ne suis pas méchant, quoique mes camarades et mes ennemis — des amis, je n’en ai pas — m’appellent « The rough »… Le Sauvage, l’Implacable, le Sans-Merci… »

Patricia était perdue. Qui aurait pu la sauver ?

Soudain les mains impitoyables se dénouèrent. Le « Sauvage » étouffa une plainte, plainte d’affreuse douleur.

« Qu’est-ce ? Qui êtes-vous ? » gémit-il, torturé.

Une voix basse et railleuse répondit :

« Un gentleman, chauffeur et ami de Monsieur Fildes. Il compte sur moi pour le conduire à Long Island, chez des parents à lui où il doit dîner… et peut-être coucher. Alors, comprends-tu ? je passais par ici quand j’ai entendu ton discours. Tu parles bien, Sauvage. Seulement, tu te trompes quand tu prétends être au-dessus de tous.

— Je ne me trompe pas, gronda l’autre sourdement.

— Si. Tu as un maître.

— Un maître, moi ?… Nomme-le… Un maître, moi ?… Ce ne pourrait être qu’Arsène Lupin. Serais-tu Arsène Lupin par hasard ?

— Je suis celui qui interroge mais qu’on n’interroge pas. »

L’autre réfléchissait. Il murmura d’une voix altérée :

« Après tout, pourquoi pas ? Je sais qu’il est à New York et qu’il manigance je ne sais quoi avec Allermy, Fildes et Cie. Et puis c’est si bien dans sa manière cette torsion des bras. Un truc à lui qui casse les plus costauds… Alors, tu es Lupin ?

— Ne t’occupe pas de tout ça. Lupin ou non, je suis ton maître, obéis.

— Moi, obéir ? Tu es dingo. Lupin ou non, mes actes ne te regardent pas ! Fildes est dans le bureau d’Allermy. Va le retrouver ! Fiche-moi la paix.

— D’abord, laisse tranquille cette femme ! Va-t’en !

— Non !… »

Et la lourde main s’abattit de nouveau sur Patricia.

« Non !… Alors tant pis pour toi. Je recommence. »