Page:Leblanc - Les Milliards d'Arsène Lupin, paru dans L'Auto, 1939.djvu/73

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ou huit cents affaires différentes qui, toutes, représentent des combinaisons compliquées, des expéditions épuisantes, des dangers courus, des blessures reçues, des luttes effroyables, des échecs décourageants. Et puis, les mauvais placements, les spéculations qui s’effondrent, la crise, sans compter les besoins qui augmentent avec l’âge, les pensions à verser, et Lupin ne lésine pas ! Dans ces conditions, comment voulez-vous qu’il ne tienne pas à ce qu’il a ! Lupin n’est pas respectueux de la propriété d’autrui, mais, fichtre, ne touchez pas à la sienne ! C’est sacré, cela. L’idée seule qu’on jette les yeux sur sa fortune le met hors de lui. Il devient féroce.

— Curieux, murmura Patricia pensive, je ne le croyais pas ainsi.

— C’est un homme, et rien de ce qui est humain ne lui est étranger, répondit Horace avec flegme.

— Pourtant il me semble qu’on ne devrait pas tenir autant à ce qu’on a dérobé », observa l’Américaine.

Il haussa les épaules.

« Pourquoi ? Prendre est plus difficile que gagner. Et l’on risque bien plus ! Le fait seul de posséder crée un état d’âme impitoyable. Et plus on avance en âge, plus cet état d’âme s’aggrave. Lupin a environ dix milliards… Oui, c’est le chiffre qu’il a avoué. Eh bien, je ne conseille à personne de reluquer son magot. »

Sa voix s’éteignit, mais aussitôt il reprit, dans un souffle à peine perceptible, et en abritant de sa main le mouvement de ses lèvres :

« Ne faites pas un geste, ne dites pas un mot, pas une syllabe… Vous m’entendez ?

— Tout juste, répondit-elle à voix très basse elle aussi.

— C’est ce que je veux.

— Qu’y a-t-il ? » interrogea Patricia.

Avec une apparence d’insouciance, il alluma une cigarette et, renversé sur son siège, observant les cercles de fumée bleue qui tournoyaient vers le plafond, il poursuivit entre ses dents :

« Quoi que je vous dise, n’ayez pas une réaction, pas un tressaillement… Et obéissez sans réfléchir. Vous êtes prête ?

— Oui, souffla-t-elle, comprenant que la situation était grave.

— Il y a en face de vous, pendue au mur, une glace. Si vous relevez la tête de quelques centimètres, cette glace vous renverra l’image de tout