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JE SAIS TOUT

— Comment ? Par un truc enfantin.

— Expliquez-vous.

Il exhiba une liasse de journaux qui portaient la date de la veille et continua d’un petit air satisfait :

— Si vous aviez lu attentivement les journaux d’hier, du moins les plus importants, vous auriez lu, parmi les annonces, cette note discrète : « Propriétaire de l’Enclos désire acheter les deux documents nécessaires à l’exploitation. Rendez-vous ce soir place Vendôme. » Ça n’avait l’air de rien cette note, n’est-ce pas ? Mais, pour les possesseurs des deux documents, quelle signification claire et quel appât surtout ! Pour eux c’était une occasion unique de bénéfice, puisque, avec toute la publicité faite autour de l’affaire, ils ne pouvaient utiliser le produit de leurs vols sans se démasquer publiquement… Mon calcul était juste. Au bout d’une heure de station près de la colonne Vendôme, une automobile de grand luxe, qui ne s’arrêta pour ainsi dire pas, me cueillait, et, dix minutes plus tard me déposait à l’Étoile. J’avais les documents. J’ai passé la nuit à lire le manuscrit. Ah ! mon cher monsieur, quel génie que votre oncle. Quelle révolution que sa découverte ! Et comme il l’expose magistralement, méthodiquement, et lumineusement ! Ce qui me reste à faire n’est qu’un jeu de collégien.

J’avais écouté le sieur Massignac avec une stupeur croissante. Supposait-il que personne au monde accorderait le moindre crédit à cette fable absurde ? Il riait cependant, ayant la mine d’un homme qui se félicite des événements auxquels il est mêlé, ou plutôt peut-être de la manière fort habile dont il croit les avoir conduits.

D’une main, je poussai vers lui son chapeau qu’il avait déposé sur la table, puis j’ouvris la porte du vestibule.

Il se leva et me dit :

— J’habite non loin d’ici… l’hôtel de la Gare. Voudriez-vous m’y faire porter toute lettre qui arriverait ici à mon nom ? Car je ne pense pas que vous ayez de la place pour moi au Logis ?

Je lui saisis brusquement le bras et m’écriai :

— Vous savez ce que vous risquez, n’est-ce pas ?

— En quoi faisant ?

— En poursuivant votre entreprise.

— Ma foi, je ne vois pas bien…

— La prison, Monsieur.

— Oh ! oh ! la prison…

— La prison, monsieur. Jamais la justice n’acceptera toutes vos histoires et tous vos mensonges.

Sa bouche s’écarquilla dans un nouveau rire.

— Que de gros mots ! et combien injustes quand ils s’adressent à un brave homme de père qui ne veut que le bonheur de sa fille ! Non, non, croyez-le bien, monsieur, l’inauguration aura lieu le 14 mai…, si toutefois vous ne vous opposez pas aux volontés exprimées par votre oncle dans son testament…

Il m’interrogeait du regard, avec une certaine inquiétude, et moi-même, je demeurais indécis sur la réponse que je devais lui faire. Mon hésitation céda devant un motif dont je ne jugeai point nettement la valeur, mais qui me sembla si impérieux que je déclarai :

— Je ne m’y opposerai pas, non par respect pour un testament qui ne représente pas la volonté réelle de mon oncle, mais parce que je dois tout sacrifier à l’intérêt de sa gloire. Si la découverte de Noël Dorgeroux dépend de vous, agissez, monsieur, les moyens que vous avez employés pour en devenir le maître ne me regardent pas.