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JE SAIS TOUT

découvert — je ne vis pas tout d’abord la base, devant laquelle s’amoncelaient des matériaux de toutes sortes. Mais, j’étais si sûr de ce que j’allais y voir en m’approchant ! Je savais si bien ce qu’il y avait là, derrière les planches et les moellons !

Mes jambes tremblaient. Je dus me soutenir. Quel effort pour avancer de quelques pas !

Tout contre le mur, au cœur même de son Enclos, Noël Dorgeroux gisait, face au sol, les bras tordus.

Il me suffit d’un examen pour constater qu’il avait été assassiné à coups de pioche.

VIII

« quelqu’un sortira de l’ombre »

Malgré le grand âge de Noël Dorgeroux, la lutte avait été rude. L’assassin, dont je relevai les traces le long du chemin qui conduisait de la palissade au mur, s’était jeté sur sa victime et avait tenté d’abord de l’étrangler. Ce n’est que plus tard, dans une seconde phase de combat, qu’il s’était emparé d’une pioche pour en frapper Noël Dorgeroux.

Aucun vol. Je retrouvai la montre et le portefeuille de mon oncle. Mais le gilet avait été ouvert, et, bien entendu, dans la doublure, qui formait poche, rien.

Pour l’instant, je ne m’attardai pas dans l’Enclos. Passant par le jardin et par le Logis, où je prévins en quelques mots la vieille Valentine, j’appelai nos voisins les plus proches, dépêchai un gamin à la mairie, et, me rendis à l’ancien cimetière, en compagnie de quelques personnes qui portaient des cordes, une échelle et un falot. Nous arrivâmes là-bas, au crépuscule.

Je voulus descendre moi-même dans la citerne, et je le fis sans grande émotion. Malgré les raisons qui m’inclinaient à craindre que Bérangère n’y eût été jetée, ce crime me paraissait absolument invraisemblable. Je ne me trompais pas. Cependant, au fond du réservoir, troué de fissures, évidemment, et qui ne contenait que des flaques d’eau croupissante, je ramassai dans la vase, parmi les cailloux, les morceaux de briques et les casseroles démolies, un flacon vide, au goulot cassé, dont la couleur bleue me frappa. Nul doute que ce ne fût le flacon qui avait été dérobé sur le buffet du Logis. D’ailleurs, quand je le rapportai ce soir-là au Logis, Valentine le reconnut formellement.

Les choses pouvaient donc se reconstituer ainsi. L’homme au lorgnon, possesseur du flacon, avait gagné le cimetière pour rejoindre l’automobile qui l’attendait, et s’était arrêté devant la chapelle où se trouvaient cloués les fragments de l’ancien mur de l’Enclos. Ces fragments, il les avait enduits avec le liquide contenu dans le flacon. Puis, à mon approche, après avoir jeté le flacon dans le puits, et sans avoir eu le loisir de contempler la vision que je devais, moi, contempler dix minutes plus tard, il s’était enfui, et avait été, en automobile, recueillir aux environs de l’Enclos le meurtrier de Noël Dorgeroux.

Les événements devaient confirmer mon explication, du moins en partie. Mais Bérangère ? Quel rôle jouait-elle dans tout cela ? Et, qu’était-elle devenue ?

L’enquête, commencée dans l’Enclos par la gendarmerie, fut poursuivie le lendemain par un juge d’instruction et par deux agents de la sûreté avec lesquels je fis campagne. Nous établîmes que l’automobile des deux complices était venue de Paris dès le matin du jour précédent, et qu’elle y était rentrée avant la nuit. À l’aller comme au retour, elle portait deux hommes, dont le signalement correspondait exactement à celui des deux complices.