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JE SAIS TOUT

Car il me fallut parler, malgré les promesses de discrétion faites à mon oncle. Il me fallut répondre aux interrogations du magistrat, raconter, expliquer, entrer dans les détails, écrire un rapport, protester contre les erreurs, rectifier, préciser, énumérer, classer, bref, confier à la justice, et incidemment aux reporters avides, toutes les paroles et tous les rêves de mon oncle, tous les prodiges de l’Enclos, toutes les fantasmagories de l’écran.

Au bout d’une semaine, Paris, la France, le monde entier, connaissaient, par le menu, sauf les points qui nous concernaient spécialement, Bérangère et moi, ce que tout de suite on appela — désignation spontanée — l’énigme des Trois Yeux.

Ironie, sarcasme, éclats de rire, voilà bien entendu à quoi je me heurtai. Un miracle n’a de croyants que parmi ceux qui en sont les témoins stupéfaits. Et comment invoquer d’autre cause que le miracle pour un phénomène où j’affirmai qu’il n’y avait point de cause admissible ? Miracle, l’exécution d’Édith Cavell ! Miracle, l’évocation d’un combat entre deux aviateurs ! Miracle, la scène où le fils de Noël Dorgeroux est frappé par une balle. Miracle, la vision de l’Enclos où Bérangère danse, tombe et s’évanouit ! Miracle surtout, le jaillissement de ces Trois Yeux qui palpitent, qui vivent, qui regardent, et qui sont les yeux mêmes des êtres qui vont figurer au spectacle comme des interprètes miraculeusement annoncés !

Pourtant, un à un, des défenseurs se levèrent en ma faveur. On examina mon passé, on estima la valeur de mon témoignage, et, si l’on put encore m’accuser d’être un illuminé ou un malade, sujet à des hallucinations, il fallut bien admettre mon absolue bonne foi. Un parti de croyants se forma. On batailla. Ah ! si mon pauvre oncle Dorgeroux avait souhaité pour son amphithéâtre une large publicité, combien ses vœux furent dépassés par la réclame bruyante et formidable qui éclata, et qui se propagea comme un roulement de tonnerre ininterrompu.

Du reste, une idée unique dominait tout ce vacarme, laquelle s’était dégagée peu à peu, et résumait les mille hypothèses où chacun se complaisait. Je la copie dans un article de journal que j’ai conservé.

« Quoi qu’il en soit, quelque opinion que nous puissions avoir sur la prétendue découverte de Noël Dorgeroux, quelque jugement que nous puissions porter sur le bon sens et sur l’équilibre mental de M. Victorien Beaugrand, il est, un point certain, c’est que nous serons appelé à connaître la vérité. Si deux hommes de la force du sieur Velmot et de son complice se sont associés pour une tâche définie, le vol d’un secret scientifique, s’ils ont perpétré leur complot avec cette habileté, et s’ils ont réussi au delà de toute espérance, ce n’est certes pas pour jouir furtivement des résultats de leur entreprise, n’est-ce pas ?

« S’ils ont en mains le manuscrit de Noël Dorgeroux et la formule chimique qui le complète, c’est assurément pour en tirer tous les bénéfices que Noël Dorgeroux escomptait lui-même. Pour en tirer des bénéfices, il faut d’abord exploiter le secret. Et, pour exploiter un pareil secret, il faut agir ouvertement, publiquement, à la face du monde. Et, pour cela, pas la peine d’aller s’installer dans un coin de France ou d’ailleurs, et de mettre debout une autre affaire. Pas la peine, puisque, en tout état de cause, l’aveu de culpabilité serait le même. Non. Autant, du premier coup, loyalement, cyniquement, s’installer dans l’amphithéâtre de l’Enclos, et utiliser ce qui a été fait, selon les meilleures conditions de succès, par Noël Dorgeroux.

« Donc, concluons. Avant peu, quelqu’un sortira de l’ombre. Un visage se démasquera. La suite et la fin du complot inachevé se dérouleront dans toute leur ampleur. Et, à la date fixée, le 14 mai, – nous en sommes à trois semaines – nous assisterons à l’inauguration de l’amphithéâtre construit par Noël Dor-