Page:Leblanc - Une femme, 1893.djvu/129

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tristes qui suivaient le creux de ses rides.

René, cependant, recouvrait des forces. Le docteur prescrivit une promenade en voiture. Lucie choisit comme but la Forêt-Verte.

En route elle tenta de revivre les diverses étapes de sa chute, mais bien des détails s’étaient effacés, et elle s’étonna de la confusion de ses souvenirs. Il y avait très longtemps, lui semblait-il, des mois et des mois, qu’elle n’avait considéré les poutres en X de cette ferme, entendu les aboiements de ce chien, remarqué le baiser de ces deux arbres, là-haut. Elle ne parvint même pas à reconstituer la phrase que Richard avait prononcée lors de sa première caresse.

Dans la forêt, après la maison du garde, sur ce chemin où leurs bouches s’étaient accolées, elle ne reconnut rien autour d’elle, et elle eut un regret mélancolique de ne pouvoir donner à sa faute d’autre décor que la capote fuyante d’un cabriolet.

Devant la borne kilométrique n°6, elle arrêta la voiture, s’assit au revers d’un talus et voulut se découvrir une émotion légitime. Mais elle ne put se rappeler que l’ardeur désespérante de Bichon et la colère grotesque d’Amédée. Et il lui fallut serrer les dents et fermer les poings pour dompter le rire déplacé qui grondait en elle.