Page:Leblanc - Une femme, 1893.djvu/203

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incommensurable. Nul cependant n’osait donner le signal de la retraite.

De temps en temps, des discussions s’élevaient, concernant la politique, la morale, la religion, la peine de mort, le suicide. On se lançait les vieux raisonnements et les formules consacrées. Un esprit étroit et banal caractérisait ces disputes.

— Voilà ce que c’est que le Nocturne, termina Paul : un fumoir et une buvette, une réunion de désœuvrés qui ne savent ni s’amuser, ni même s’embêter convenablement : en résumé, un assommoir.

Or, le lundi gras, une dépêche de Brest apprit à Robert la mort d’un oncle et ses droits d’héritier. Il partit le lendemain. Cette coïncidence décida Lucie. En revenant de la gare où elle avait accompagné son mari, elle acheta du surah bleu ciel, du galon et de la mousseline raide.

À minuit, quand elle se présenta, le bal battait son plein. Au fond, l’orchestre se démenait. Des couples dansaient, peu nombreux, tristes. Les loges étaient vides. Au haut de l’escalier, une masse compacte d’habits noirs interpellaient les masques, grossièrement, sans à propos ni légèreté. Une gêne planait. Par respect humain, la plupart des hommes n’avaient point endossé de déguisement. La crainte du ridicule étouffait toute spontanéité. On s’épiait, en gens accou-