Page:Leblanc - Une femme, 1893.djvu/260

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de Bois-Guillaume, j’ai oublié l’heure, je me suis égarée, et au retour pas d’omnibus. Hein, c’est bien moi, ça ?

Lucie fit durer son désespoir aussi longtemps que possible. La guérison exigea deux ou trois semaines.

Le résultat le plus appréciable de sa rupture avec Javal fut un endurcissement de son cœur. Elle remarqua ceci : deux hommes l’avaient abandonnée, M. de Sernaves et Pierre. Or, ils étaient précisément les seuls qu’elle eût aimés, les seuls pour qui elle eût négligé son fameux système de froideur.

Ne pouvait-elle conclure à la duperie des sentiments affectueux ? L’amour existait, cela elle ne le niait pas, puisqu’elle avait aimé ; mais somme toute, celui qui aimait devenait inévitablement la proie de celui qui n’aimait pas. « L’amour, formulait-elle, est une erreur généreuse ».

Cette façon de juger ne resta pas chez Lucie à l’état d’axiome. Sa déception comprima vraiment tout élan romanesque de son âme, et lui inspira de la méfiance et une certaine méchanceté envers les hommes. « On ne les aime pas, on se joue d’eux ».

Ce perfectionnement de sa nature la rendit plus dangereuse.

Calmée, elle voulut d’abord réparer les effets de ses absurdes imprudences. Le mal était plus