Page:Leblanc - Une femme, 1893.djvu/313

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Elle ne s’en plaignait pas. Toute conversation prolongée l’abattait. Elle exécuta des travaux au crochet et tricota pour les indigents. Un cabinet de lecture lui fournit des livres. Elle choisissait les histoires de cape et d’épée et les drames de feuilleton. Les romans l’ennuyaient. L’adultère est leur unique base, sujet qui lui agréait peu.

Mais le plus souvent le tricot ou le volume s’échappait de ses mains. Et des souvenirs glissaient devant son esprit comme des tableaux fugitifs.

Rarement ils remontaient au delà de sa maladie. Il lui eût fallu trop d’efforts pour s’introduire dans son passé, cette forêt de broussailles et de ténèbres, inaccessible aux explorations. À peine osait-elle s’appesantir sur les détails de son avortement. Mais elle évoquait les périls qui en avaient résulté.

Ces souvenirs ne se composaient cependant que de douleurs revécues. Elle se rappelait le grand frisson initial, où elle se croyait prise par le crâne et secouée ainsi qu’un squelette. Ses doigts, ses pieds, ses oreilles se congelaient, sa langue se changeait en un morceau de glace, une langue dure, effilée, rêche comme celle d’un perroquet. Son haleine même, en s’exhalant, lui emplissait la bouche d’un air froid. Un fer rouge s’enfonçait en ses entrailles. On lui arra-