Page:Leblanc - Une femme, 1893.djvu/340

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songeait à ces questions. Jamais elle ne se laissait glisser aux rêveries douces où surgissent, avec leurs sourires et leurs larmes, les heures d’antan. À peine certains souvenirs s’éveillaient-ils au choc d’un incident fortuit, rencontre d’amant, vision d’endroit fréquenté. Et ces souvenirs ne lui procuraient ni enchantement ni amertume.

Elle ne regrettait rien. Elle avait plutôt un sentiment de plénitude. Elle ignorait la tristesse de ceux qui regardent en arrière et à qui paraissent creuses des périodes d’années, des années futiles, sans bien ni mal, sans gloire ni désastre, des années perdues, irréparablement, cinq, six, sept à retrancher du maigre lot qui nous est échu.

Une telle désespérance lui était épargnée. Sa jeunesse formait une chaîne de jours où nul maillon ne manquait. Peu d’entre eux qui ne fussent illustrés de quelque événement saillant.

Cette idée l’avait jadis frappée durant l’une de ses dernières visites à M. Lesire. Elle arrachait les feuilles d’un calendrier. Et elle dit en riant une de ces phrases cyniques dont elle était coutumière :

— Je pourrais presque établir un calendrier, moi aussi, avec l’histoire de ma vie. Je canoniserais mes amoureux : Saint-Amédée, Saint-Bouju, Sainte-Marthe, Saint-Lesire. Et en bas