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— C’est le dernier, Madeleine.

— Oui, j’en suis sûre, c’est la dernière révolte du vieil homme. Tu le croyais mort, il agonisait seulement.

Ils se turent. La lune baignait l’espace, les arbres trempaient dans sa lumière bleue. Leurs rêves montèrent vers elle, source de toute poésie et de toute pureté. Elle les rafraîchit, Elle les bénit. Madeleine prononça :

— Notre vie va se dénouer, Pascal, et selon notre désir, j’en ai le pressentiment délicieux… je vais être à vous bientôt… Comment nous viendra cette joie, je ne sais pas… mais nul mensonge ne la flétrira, nulle lâcheté ne l’amoindrira. Oh, je suis heureuse !

Il murmura tout ému.

— Vous êtes ma fiancée, n’est-ce pas ?

— Oui, je suis votre fiancée, Pascal, votre fiancée de cœur et de chair… voici ma main, mon aimé… voici ma bouche…


XI


Rennes marquait leur entrée en Bretagne. Ils suivirent d’abord la route de Brest, sans trop savoir les villes et les chemins que choisirait leur caprice. Peu soucieux des conciliabules qui servaient jusqu’ici à l’élaboration de leurs plans, ils s’en remettaient au hasard. Tout au plus Guillaume et Régine avaient-ils parlé des côtes bretonnes, ce qui ne plaisait pas beaucoup aux deux autres.

La longue avenue de peupliers où se retrouvèrent Pascal et Madeleine après les belles heures de la nuit leur parut l’issue merveilleuse par où ils sortaient d’un rêve magnifique pour atteindre à une réalité plus belle encore. Ils pénétraient dans un pays auquel leur imagination voulut attribuer un aspect différent. Les prairies avaient des airs de parc anglais. Des arbres les encadraient et, pour peu qu’on s’élevât, tous ces ramages dominés formaient une grande forêt, un vêtement de verdure aux verts innombrables qui couvrait la terre à l’infini.

La nature les accueillit comme une amie charmante, sous ses ornements de rosée et de soleil. Ils se souriaient de temps à autre, et ce sourire les imprégnait si profondément, qu’ils voyaient les arbres et les plaines et qu’ils regardaient leurs pensées à travers la grâce d’un sourire. Quelle paix descendait sur eux ! Quelle certitude ! Quelle espérance grave et durable !

— Madeleine, murmura-t-il.

— Que voulez-vous, Pascal ?

— Je ne sais pas, je prononce votre nom comme aux premiers jours, pour la joie de le prononcer.

Elle dit, après un silence :

— Il y a des fois, Pascal, comme en ce moment, où j’ai conscience de votre amour autant que du mien.

— Comme c’est bon, Madeleine, que vous me disiez de telles choses, et au bout de si peu de temps ! Oh, comme cela est arrivé vite ! quelques semaines à peine…

Ils se reposèrent sur le tronc d’un vieil arbre. Pascal tenait sa bicyclette entre ses jambes. Madeleine s’amusa de le voir. Il n’y touchait plus comme naguère avec des gestes de sportsman, il ne la regardait plus avec des regards d’amateur qui apprécie la résistance, qui juge la conception, les formes, les détails.