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rent et tandis que d’Arjols et Régine Fauvières filaient en avant, Pascal et Madeleine, plus placides, cheminaient côte à côte.

Il y eut une longue descente au milieu d’un bois gracieux d’où l’on apercevait, par des échappées soudaines, un large vallon qui s’étalait entre les collines comme un lac de verdure. Ils y parvinrent et, de fait, ils eurent la sensation d’un bain qui les délassa plus que le repos. Légère et indéfinie, la pente continuait au creux de la vallée luxuriante. Une source coulait, chargée de roseaux, sous la caresse des saules qui se penchent et parmi l’ordonnance symétrique des peupliers pensifs.

Et c’était délicieux de rouler ainsi, d’un mouvement égal et ininterrompu, selon la fantaisie des hauteurs dont on suit les contours. Ils n’avaient plus ni fatigue ni regret. Le temps fuyait comme un songe, et ils fuyaient avec lui, et chacun, de leurs efforts s’effectuait aussi aisément que s’égrènent les secondes dans la fuite du temps. Ils regardaient à peine, les yeux et l’esprit fermés au charme des spectacles. Ils ne savaient pas percevoir la musique du silence, le chant des feuilles et l’harmonie des eaux. Mais tout cela pénétrait en eux par des voies nouvelles et les imprégnait d’un bien-être inconnu.

« Est-ce assez bon ?… comme c’est exquis ! » répétaient d’Arjols et Mme Fauvières, se soulageant en épithètes d’admiration. Pascal et Madeleine ne laissaient tomber que de rares paroles. Et tout ce qu’ils disaient tout quatre, ils le disaient d’une voix discrète, comme on dit des choses quelconques derrière lesquelles il y a des pensées et des sensations que l’on devine bien plus profondes et bien plus importantes.

À Cany l’on se retrouva.

— Voici la station, avertit Guillaume, nous arrêtons-nous ?

— Non, non, s’écrièrent les deux femmes, allons toujours… jusqu’à la mer.

— Vous savez que Veulettes est à près de dix kilomètres ?

— Tant mieux, tant mieux.

On se remit en route.

Des nuages roses voguaient au ciel. Les collines bleues s’enfonçaient dans l’horizon. La nuit se mêlait au jour et l’ombre envahissante imprégnait l’espace de mystère et de mélancolie. Pascal murmura :

— Oh, ces bouffées d’air vif qui viennent au-devant de nous… on dirait des messagers que la mer envoie pour nous souhaiter la bienvenue.

La silhouette des choses s’effaçait. Ils allaient parmi les fantômes des arbres et les haies confuses. Et plus ils avançaient, plus il leur semblait recevoir des trésors d’énergie et de souplesse et qu’ils pourraient aller, aller toujours, comme l’eau qui coulait auprès d’eux sans lassitude, toujours alerte, toujours joyeuse, toujours renouvelée.

La nuit les enveloppa. Les deux couples se perdirent de vue.

Le souper les réunit tous quatre dans une salle d’hôtel. Ils furent tour à tour exubérants et silencieux, enthousiastes et graves. Ils disaient des bêtises et ils disaient des choses qu’ils n’avaient jamais dites. Ils étaient pleins de cordialité et de bonhomie, confiants en eux-mêmes, dispos et jeunes. Puis ils se turent. Les heures écoulées leur laissaient de la béatitude et de l’étonnement. Elles leur paraissaient étranges, ces heures. Rien dans leur passé ne s’y pouvait comparer. C’était comme si leur vie avait subi le même phénomène qu’eux-mêmes, en cette journée de contrastes violents et