Page:Leblanc et Maricourt - Peau d’Âne et Don Quichotte, paru dans Le Gaulois, 1927.djvu/53

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Faut pas la déranger quand elle crie comme ça, s’écria Violette. Elle a ses lubies.

— Qu’est-ce que c’est que ça, des lubies ? C’est des bêtes, des oiseaux ?

— Mais non, c’est des folies !

— Enfin pourquoi crie-t-elle « Marie-Claire » ?

— Je t’ai déjà dit que je savais pas ! reprit Violette, dont l’esprit était un peu paresseux. Marie-Claire, on croit que c’est quelqu’un qu’elle a perdu, avec le jeune homme qu’elle a en médaillon, peut-être ? À moins que celui-ci ait été son mari ? Enfin, on ne sait rien de rien. Et puis, voilà. En attendant, nous passerons bien l’eau tout seuls !

Effectivement, les enfants mettent le bateau en marche, pour le plus grand effroi d’une bande de goujons qui va se cacher dans les profondeurs de la vase. Des ablettes, moins poltronnes, font leurs cabrioles sur les glacis des eaux. Elles montrent sans honte, en l’espace d’un clin d’œil, les petites cuillers d’argent qui, affirme-t-on, leur servent de ventres. Une énorme carpe ne daigne bouger. Elle dort, abaissant ses gros yeux de matrone sur les filaments blanchâtres qui sont comme la barbe de « messieurs » les carpes, lorsque ceux-ci sont sur l’âge.

Et pfft ! voici les enfants qui, sautant sur la rive, entrent dans la forêt mouillée.

En effet, c’est le matin. La rosée a patiemment ourlé les feuilles de ses chapelets de cristal. Sous les arbres, les premières vapeurs du jour se délassent en longues traînées, comme autant de robes de fées blanches dans lesquelles la lumière perce déjà quelques trous d’or.

Tout cela est si nouveau, si mystérieux pour Violette, ignorante de la torpeur inquiétante des bois, que, au contact de Pierre, son imagination s’est enfiévrée. Elle voulait convertir son ami. Ne voilà-t-il pas que c’est Pierre qui va la convertir ?

C’est étrange ! Mais, aussi bien, il faut en convenir, il est si délicatement attentionné, ce petit Pierre, si ensorceleur en ses paroles !

Depuis qu’avant-hier il a disputé avec François, on ne sait pourquoi il se montre avec Violette tout à la fois plus protecteur et plus doux. Elle est vraiment bien maintenant « sa dame », celle pour laquelle on va à la conquête du monde !

Alors, tous deux marchent vers les enchantements proches.

— Regarde ces grands arbres, fait Pierre. On dirait que leurs troncs sont des corps d’homme et qu’ils sont enterrés par la tête, les jambes en l’air !

— Des géants pétrifiés ? Mais non, Pierre, tu plaisantes !

— Oh ! je plaisante… sans plaisanter ; depuis les histoires de l’autre jour,