Page:Leblanc et Maricourt - Peau d’Âne et Don Quichotte, paru dans Le Gaulois, 1927.djvu/75

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ci était un fort et un sage, mais il ne lui dit ni « merci », ni « à demain », car il n’éprouvait pas une envie considérable de le revoir.

— Violette, dit-il, si on allait faire un tour ?

— Oui, fit Violette qui n’avait dit mot.

Après avoir jeté sur François des regards qui n’étaient pas tout à fait ceux de deux vaincus, les enfants, la main dans la main, allèrent (pourquoi ?…) jusqu’aux bords apaisants de la rivière, là où, dans l’herbe humide et caressante, on n’entendait pas siffler les sirènes des usines. L’endroit les attirait. C’était comme la limite entre deux royaumes qui ne pouvaient se confondre en leur esprit, entre la forêt des fées et le monde des vivants, entre le rêve et la réalité… Ils s’y plaisaient. Folette en était la gardienne. Et Folette les aimait bien…

Elle était là Folette. Assise sur un fagot, au bord de la rivière, elle semblait, par une sorte de prescience, attendre les deux petits « naufragés de l’Illusion ». Même elle se fit conter par le menu leurs aventures. Pierre et Violette, d’ailleurs, ne demandaient qu’à voir clair dans toutes ces leçons très compliquées que venait de leur donner la vie.

Il était bien étrange que cette explication, ils vinssent la demander à une si déconcertante créature. Mais peut-être avaient-ils saisi que, parfois, la raison emprunte, pour s’exprimer, la voix de ceux-là mêmes qui semblent l’avoir perdue ?

Folette soupira. Penchée sur l’eau, elle agitait dans l’onde une longue baguette qui dessinait de grands ronds dociles et réguliers.

Oui, elle soupira profondément, et elle dit :

— Votre François n’a pas tout à fait tort, mes chers petits. Les fées comme il y en a dans les contes n’existent pas. Seulement à côté des fées utiles dont il vous a parlé, il a oublié de vous mentionner toutes les bonnes fées qui sortent d’un vrai royaume où il faut souvent voyager pour ne pas devenir trop terre à terre. Ce royaume, c’est le royaume de l’Idéal.

Sur l’onde verte, les grands ronds s’agrandissaient encore. Puis, doucement, tremblaient, au fil de l’eau, les guirlandes de renoncules, qui reprenaient, après un léger frémissement, leur immobilité de fleurs captives, aux racines emprisonnées dans la vase. Une grande paix régnait décidément en ces lieux calmes où descendait la fraîcheur. Les enfants se taisaient. Alors, Folette reprit :

— Oui, mes chers petits, ne l’oubliez jamais. Dans ce royaume qui… tout de même est un peu sur terre… il y a la fée de la Bonté, la fée de la Pitié, la fée de la Miséricorde, et bien d’autres encore… toutes les fées auxquelles il faut faire appel quand on veut donner du bonheur à autrui, ce qui est le meilleur moyen de s’en donner à soi-même. Oh ! soyez tranquilles, avec ces fées-là on peut mener une vie très pleine et très belle… et même, mes chers petits, il y a celle que l’on croit mauvaise, que l’on n’invite jamais aux baptêmes et qui vient tout de même… la fée de la Douleur. Hélas ! elle a sa place dans la vie, car elle forge les âmes avec sa baguette…