Page:Leblanc et Maricourt - Peau d’Âne et Don Quichotte, paru dans Le Gaulois, 1927.djvu/98

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Il allait passer à quelques mètres de Pierre dans le chemin… Les nuages continuaient de jouer à cache-cache avec la lune… On voyait mal… Pierre était atrocement crispé dans une tension anxieuse. De ses yeux agrandis et fixes il dévisage « l’homme » qui ne se doute pas, certes, que derrière cet arbre la justice s’est cachée sous la figure d’un honnête petit garçon.

Reconnaître les traits du voleur dans cette pénombre, il n’y fallait pas songer, mais on pouvait distinguer sa tournure, ses vêtements…

Le voici. Ses pas font crisser le sable. Il arrive, il est là, il passe à portée de la main. Pierre a peur qu’il n’entende les battements précipités de son cœur, car un instant le bandit regarde du côté de l’arbre. L’enfant croit deviner l’éclat métallique d’un regard qui scrute les ténèbres… Mais avant tout il faut repérer le bandit. Entre les feuilles, Pierre regarde furieusement en domptant son émotion.

Oh !… voyons… Cette casquette à oreillettes sur laquelle la lune, un moment, rayonne, cette grande houppelande à carreaux dont le long corps du bandit est vêtu ?… Où donc a-t-il vu ce vêtement à nul autre pareil dont il reçoit l’image rapide comme un rêve ?

Mais… mais… Oh ! non… Mais… si !

Si. Le doute n’est pas possible. Ce sont la casquette et la houppelande que M. des Aubiers met pour aller à la chasse les jours de pluie. Cette taille, c’est bien celle du père de Violette.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

L’homme s’avance… Sa haute silhouette diminue dans la clarté livide du chemin. Pierre ne le suit pas.

Alors Violette, d’elle-même, se décide la première à quitter sa cachette voisine. Elle arrive.

— Pierre, dit-elle, c’est près de toi qu’il a passé. Pourquoi ne le suis-tu pas ?

Et Pierre de simplement répondre :

— Toi, Violette, l’as-tu bien vu ?

— Oh oui !

— L’as-tu reconnu ?

— Mais non ! Il était à dix mètres de moi, tandis que toi ?… Mais Pierre ! remue donc ! tu es là comme une statue !

— C’est vrai. Violette, je te demande pardon. J’ai eu peur.

— Peur ! toi ?… Oh !…

— Oui, peur… tu comprends, l’émotion, la nuit, cet homme qui pouvait nous tuer. Alors le courage m’a manqué pour le suivre.

Violette ne répondit rien. Une grande désillusion l’accablait. Pierre ayant peur ! Évidemment… elle comprenait… elle excusait. Tout de même, son héros venait de descendre de quelques degrés d’un piédestal ; et c’était triste.