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si c’était une personne d’aujourd’hui qui ne serait pas sortie d’un conte de fées, s’avançait vers les enfants.

Aucune épithète ne serait suffisante pour exprimer combien elle était laide. Avait-elle reçu comme châtiment ce mauvais présent du destin qu’on appelle la petite vérole ? On ne le saurait dire. Mais son visage était gâté de la plus fâcheuse façon du monde. Son œil droit regardait sur Caen et l’autre sur Bayeux, comme dit la chanson du bon Cadet Rousselle, sa bouche avait toute la grâce de celle d’une grenouille malade et son nez descendait par terre comme pour chercher les champignons que la pluie a fait éclore.

Encore une fois Pierre songea à la fée Crapeaudine, quand « la laide » interrogea dans un sourire qui découvrait des dents de cavale :

— Mes petits chéris, vous n’auriez pas trouvé une pantoufle ?

Pierre saisit brusquement la main de Violette et l’empêcha de répondre :

— C’est qu’hier soir ma sœur a perdu la sienne.

— Ça y est, murmura Pierre, c’est une des sœurs de Cendrillon. La plus méchante pour sûr.

Devant le mutisme des enfants, « la laide » haussa légèrement les épaules et elle tourna les talons pour s’en aller comme une vilaine oie qui rentre au poulailler. Devant elle, une grande sauterelle s’enfuit aussi gauche qu’une verte girafe des bois. Un grillon écœuré remua ses antennes et rentra dans son trou, en montrant sans politesse son petit dos noir : Cri, cri, cri, cri, jura-t-il même avec dédain.

— Ho ! Ho ! Ho ! Ho ! fit dans un arbre le pivert moqueur qui claqua du bec et dodelina, en regardant la laide, sa tête coiffée d’une petite calotte rouge, comme s’il était l’enfant de chœur de la forêt.

— Hou ! Hou ! Hou ! Hou ! répondit une chouette mal réveillée qui montra, dans le trou d’un arbre, sa mine ébouriffée de vieux chat sagace.

Sagace ? On ne sait trop, car les bêtes sont vraiment bêtes quand elles insultent à la laideur.

De loin, Pierre et Violette suivaient comme hypnotisés la « sœur de Cendrillon ».

Ils marchaient, ils marchaient… et voici que le grand jour vient à nouveau rire sur leur tête, voici que les grands chênes deviennent petits, voici que les clairières deviennent grandes, car nous sommes à l’orée de la forêt du mystère.

Et voilà que nous allons rentrer… peut-être… dans le domaine des humains.

— Oh ! quel drôle de palais, s’écrie Pierre en regardant Violette. Crois-tu qu’il est en sucre ?

Évidemment non. Mais tout de même le lieu de plaisance vers lequel leurs pas hasardeux avaient attiré les enfants ne ressemblait pas aux maisons qu’on a coutume de voir.

C’était en lisière de forêt l’un de ces petits palazzios à la manière italienne que le premier Empire mit à la mode en France. On pouvait s’étonner de voir en ces lieux sauvages cette fantaisie de quelque aïeul endormi dans la mort.