Page:Leblanc et Maricourt - Peau d’Âne et Don Quichotte, paru dans Le Gaulois, 1927.djvu/41

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pierre, glacé, domine son émotion.

Véronique demeure très effrayée, un doigt sur la bouche. À son bras gauche le panier d’osier, sans doute plein de choses succulentes auxquelles il ne faut point toucher, tremble un peu.

— Écoute, lui dit Pierre, tu vas tirer la bobinette et la chevillette cherra.

— Plait-il ?

— Tu vas, je te dis, tirer la bobinette et…

Mais il s’arrête devant le masque d’effroi qui couvre le visage de Véronique.

Ces mots magiques ont, en vérité, achevé de jeter le désarroi dans l’âme de cette enfant. Croit-elle que Pierre devient fou ? C’est bien possible.

Violette rit, mais elle a un peu peur, elle aussi…

Cependant elle se domine.

— Pierrot, dit-elle, y a qu’une chose à faire. Véronique n’ose pas entrer. On va la laisser à la porte et tous les deux nous allons expliquer à sa grand’mère pourquoi elle est en retard.

— Bien sûr, d’autant qu’elle n’est pas si méchante que ça, fait Pierre, qui d’ailleurs n’est pas du tout convaincu de ce qu’il dit.

Courageusement, les enfants frappent à la porte de la maison peut-être ensorcelée.

— Entrrrrrez ! répond une voix formidable.

Ah ! que cette pièce est sombre ! Il faut un moment aux deux petits pour enseigner à leurs yeux la vision exacte de ces lieux rustiques où le lit qui monte jusqu’au plafond, le bahut chargé de vieux ustensiles, le rouet qui dort dans un coin demeurent cois et un peu inquiétants sous l’abri velouté de la poussière.

Et, Ciel ! voici bien une vision peu rassurante :

En face d’une petite fenêtre privée de rideaux, une très vieille femme est assise dans un fauteuil d’osier. Véronique n’a point noirci le tableau : un grand bonnet à coques, qui depuis des temps lointains dédaigna le blanchissage, coiffe un visage cireux, dont toute expression de bonté est absente. Le nez est si camard que si la bourrasque se déchainait pour ouvrir malicieusement la fenêtre, on peut tenir pour certain qu’il pleuvrait dans ses narines. Et de la bouche, qui avance comme pour mieux mordre, une armée de dents formidables, rangées comme des soldats en bataille, sont disposées à l’assaut. C’est terrible !

Qui va là ? demande la vieille femme sur un ton rauque. C’est t’y mon manger qu’on apporte ?

Par dessus ses lunettes elle roule des yeux furibonds. Elle ne cesse en parlant de tricoter. Ses aiguilles d’acier qui font diligence semblent toutes prêtes elles aussi à se muer en instrument de torture, à sauter, vite et-droit, sans man-