Page:Leblanc et Maricourt - Peau d’Âne et Don Quichotte, paru dans Le Gaulois, 1927.djvu/80

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Décidément, Pierre découvrait qu’à la campagne, le roman de la vie quotidienne est presque aussi invraisemblable que les contes… Tout cela l’agitait fort. Mais, comprenant enfin que Blandot — un assassin peut-être ? — serait sans pitié, il prit son parti. L’occasion le venait servir à souhait d’être cette fois sur le terrain des réalités.

Un peu solennel, il dit :

— Violette, j’y laisserai peut-être ma vie, mais ces affreux hommes n’emporteront pas…

— Ne saisiront pas…

— Ne saisiront pas, c’est la même chose, ne saisiront pas le donjon ! C’est la lutte à mort. Je l’accepte…

— Oh ! Pierre, tu ferais ça ?

— Je ferai ça. Et d’abord je ne veux pas qu’ils reviennent.

— Tu ne veux pas qu’ils reviennent ? Mais tiens, mon pauvre Pierre, les voilà déjà !

Hélas ! c’était vrai. Le « gros roux » et le « petit noir » arrivaient de nouveau. Sans doute avaient-ils été chercher quelque papier. On les voyait, on les entendait marcher dans l’avenue qui conduisait à la cour d’enceinte du château.

— Bonne affaire ! Bonne affaire ! criait sans vergogne l’affreux Blandot, la casquette de soie sur l’oreille, arrogant, frottant toujours l’un contre l’autre les battoirs de lavandière que la nature généreuse lui avait offerts en guise de mains.

Il était là… à deux pas !… Dans son ombre se glissait la silhouette furtive du vilain Palenfroy…

En cas d’attaque brusquée, il faut le coup d’œil du chef, la promptitude du grand guerrier.

Pierre se révéla. Il bondit vers la porte d’entrée de la cour, la ferma soigneusement et jeta la clef dans le fossé. Puis il se cacha derrière une colonne, guettant l’ennemi maintenant invisible.

— Va me chercher un arc et des flèches, dit-il tout bas à Violette.

Sa voix frémissait de colère contenue.

— Holà ! holà ! la porte ! criait Blandot avec violence.

— La porte, holà ! holà ! répétait d’une voix de crécelle le maigre Palenfroy.

Ce fut vraiment l’assaut d’un château-fort. Les hommes cognaient. La porte remuait, comme agitée de mouvements convulsifs.

— Tiens, voici ton arc et tes flèches, murmura tout bas Violette, qui avait, d’un bond, couru jusqu’au château.

Pierre y avait laissé les armes, inoffensives jusqu’ici, dont il se servait vainement contre les pierrots et les merles. Mais comment tirer ? La porte est en bois plein… Les hommes sont derrière… Mais non, hélas ! sous la poussée formidable d’une épaule robuste, elle cède. C’est Blandot qui a franchi la première