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Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/117

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LES DÉBUTS DANS LA LITTÉRATURE

son enfance il a entendu les Cafres rudes chanter sur des syrinx de bambou sous un ciel humide et farineux les mélopées plaintives du Mozambique, il a vu les télingas efféminés entrecroiser leurs pas de porteurs de manchys aux sons argentins de leurs bracelets, il a entendu les propos des planteurs, hommes du nord pratiques et âpres, et les histoires qu’ils contaient des forbans portugais du dernier siècle piratant à Saint-Paul, il a lu les romans écossais où, à travers la brume qui ondule, se dressent à pic les manoirs déchiquetés comme des masses de rocher au bord des lacs étales : de tout cela se composera, dans une harmonieuse lenteur, son génie polyethnique qui, à sa maturité, condensera des œuvres stables dans leurs dessins divers et précis. Mais, à l’adolescence, les souvenirs s’étirent fiévreux, indécis et inégaux ; l’esprit, inquiet, analytique, inconstant et capricieux, dans son impuissance à embrasser d’une seule perception le monde varié de ses atavismes et dans son impatience à dominer, veut choisir une spécialité où briller ; il s’énerve, agité de présomption et de mélancolie, désespéré de sa mobilité qui l’empêche d’atteindre à la maîtrise aussitôt qu’il l’ambitionnait. Puis, renonçant à la précoce génialité, il se repose dans la modestie laborieuse de la lecture. À cette période d’apaisement et de reconstitution les souvenirs d’enfance commencent à renaître dans leur variété ; ils se développent par les lectures, en un impérialisme pacifique tout spirituel et, comme disait Leconte de Lisle, platonique. Le renoncement à la domination et en même temps