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Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/146

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LECONTE DE LISLE

montagnes sous un dessin électrique et tragique. L’air mollit aux ombres du crépuscule et le voilier, les ailes toutes grandes, se berce au sommet des vagues. Assis sur les cordages au gaillard, les marins, dans leur langage animal et coloré, parlent du Brésil et de l’embouchure de l’Amazone, des panthères dans les pampas, de la côte d’Ivoire et des troupeaux d’éléphants. Avec ses oasis et ses caravanes, avec ses fleuves et ses piroguiers, avec ses lions aux clairs de lune fauves, l’Afrique se couche et dort à la gauche du ciel. Avec des savanes de hautes herbes et des forêts de colibris, des pythons dans les cactus et des odeurs de lianes, l’Amérique plonge, adroite, triangulairement, jusqu’aux confins du monde. Il semble qu’il souffle des étoiles une brise qui fait glisser le bateau vers la Croix du Sud.

Rendu à la contemplation de l’Univers, à l’immensité du songe solitaire, le jeune homme mesura-t-il son rêve aux essais de ses premières années d’exil en France ?… Une hésitation douloureuse entre un lyrisme sentimental, confidentiel et une abstraction de pensée et de méditation, une incapacité d’adolescence à se maintenir dans l’harmonie supérieure d’une rêverie d’où il ne veut descendre, une volontédu fort et du sublime, mais une attirance aux délicatesses des balbutiements, des élans déclamatoires s’affaissant en chutes prosaïques, l’apostrophe, l’invocation, des métaphores superposées dans un dessein trop grandiose d’altitude, des mots de lumière éclatant dans une pensée encore trop vague et nébuleuse… Dans le Cœur et