Aller au contenu

Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/207

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

meurs ! Je me nourrirai de tes larmes et de ta chair. — Il est loin de nous le jour où l’homme dit à la femme : Courbe la tête, toi qui es faible, aimes et souffres ; tu me dois tout et rien ne t’es dû.

Et pourtant ce jour a duré des siècles.

Tantôt le sceptre de fer en main, tantôt docile aux transformations des temps, habilement revêtue du manteau des législateurs, parée de noms vénérés, l’oppression a régné, toujours vivante, toujours inexorable, toujours maîtresse du monde. Elle domptait brutalement l’homme et la femme, aux époques de lutte et de barbarie ; elle marchait alors le front haut et découvert ; tous disaient : C’est elle. Et tous s’accoutumaient à ployer les genoux[1].

Aux époques de civilisation, c’est-à-dire de ruse, de mensonge, de trahison et de lâche égoïsme, elle a rusé, elle a menti, elle a trahi, elle a tout exploité à son profit, rampante et invisible, mais elle a régné toujours, elle règne encore.

L’oppression !… Que de nations fières, à juste titre, d’un passé héroïque et d’immenses services rendus à l’humanité, sont là, plongées sous le joug, pieds et poings liés !… Et chez les peuples mêmes qui marchent en tête de la civilisation, les plus éclairés et les plus raffinés, que de crimes multipliés par elle, que d’attentats incessants de tout ordre, de tout degré !…

L’oppression ! c’est le Briarée moderne, aux cent têtes, aux cent bras, aux cent pieds[2]… Un dernier moyen de domination lui avait manqué jusqu’ici ; ce moyen elle l’a conquis, et plus rien ne peut lui résister.

Elle a bâti de grands temples pour le dieu nouveau

  1. Remarquez le rythme, les vers blancs, — comme chez Rousseau. Cette façon de personnifier les vertus et les vices signale la fréquente lecture des conventionnels.
  2. Cf. la Bête écarlale.