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Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/422

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jamais de tristesse en moi : c’est plutôt une sorte de joie multiple qui ne me fait point défaut quand j’y ai recours. » Et même plus tard l’espérance qui, « d’un trait de feu », sillonne comme de l’éclair des orages tropicaux les sombres dômes nuageux de ses poèmes[1], de sa vie, c’est le souvenir, c’est la passion comprimée en l’être qui jaillit vers l’avenir sous forme d’espérance.

Mais il fut une époque dejeunesse, dans les premiers mois d’exil, où il ne sut, où il ne put se souvenir sans souffrir, incapable encore de prendre à l’évocation une calme satisfaction de désintéressement. Longtemps il resta amèrementétonné d’avoir pu quitter son pays, se reprocha d’avoir cédé à la voix des désirs qui le conviaient ailleurs.


Insensé ! de nos soirs le parfum enchanteur
Les pleurs harmonieux des brisants sur nos rives,
Le chant des bengalis dans les palmes pensives
L’aurore de rayons dorant les monts géants.
Vers l’horizon en feu que déjà voilait l’ombre,
Le soir venu des cîeux comme un roi grave et sombre,
N’enivraient point mon cœur désireux d’autres cieux.

(1839.)


Il ne lui reste donc plus qu’à se bercer de la vision de ces ciels onduleux et de ces verdures assouplies en lianes dont il n’avait pas su assez jouir là-bas. Énervé par ses études, contrarié par des parents inflexibles et secs, il demande au souvenir l’assoupissement. Et comme, malgré lui, ce qu’il revoit toujours de Bourbon, c’est un splendide paysage de force et de paix sous un soleil

  1. La Ravine Saint-Gilles.