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Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/434

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met de la vie, perspective sublime des montagnes ouvertes en entonnoirs sur la mer, passage touchant de la maison familiale, épiphanie du fantôme bien-aimé, illumination soudaine et prodigieusement calme du passé où se résume presque entièrement la vie, harmonieuse apothéose de la jeunesse, jeunesse des ans et jeunesse de la terre, résurrection exacte et musicale au souffle de la mémoire en une idéale confrontation, c’est le Frais matin dorait ; c’est surtout l’Illusion suprême, adieu à la vie que l’âme fière veut imperturbable, mais où module par moments une rumeur de sanglots, consonante à la rumeur humide des racines.

D’être éloigné de la terre où avait vibré sa jeunesse, de ne devoir plus y retourner, Leconte de Lisle s’apparut toujours à lui-même comme étant déjà à moitié entré dans le néant. L’éloignement où il se maintint de l’île natale symbolisait vivement l’éloignement de sa jeunesse, effacée derrière lui comme un sillage sur l’immense océan traversé. Après les adieux de l’Illusion suprême, le cœur avait encore d’autres paroles à prononcer, ne se satisfaisant pas de ces sentences de renoncement que l’esprit avait lancées à travers l’espace. Même il ne croyait pas à cet adieu. Voici qu’un autre désir le fouettait : résigné à mourir, l’homme voudrait au moins mourir au pays de l’aurore, reposer au « paradis perdu ».


J’ai goûté peu de joie et j’ai l’âme assouvie
Des jours nouveaux non moins que des siècles anciens,
Dans le sable stérile où dorment tous les miens
Que ne puis-je finir le songe de ma vie !