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Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/467

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nir la nuance, est plutôt anarchiste que socialiste. Ce besoin de retour dans la nature pour plus de liberté, de liberté absolue, exubérante, voire farouche, encore sauvage au moins dans sa saveur, signifie le plus bel individualisme, foncier et expansif. Il est d’autant plus curieux à étudier que Leconte de Lisle, en politique, était robespierriste, avec fougue et exclusivisme : il croyait à la nécessité d’une très rigoureuse discipline, consacrée par des exécutions même sommaires, devant la grandeur des périls nationaux et sociaux : militarisme, cléricalisme surtout ainsi que le témoignent ses poèmes violemment anlipapistes et son Histoire du Christianisme qui, en sa beauté diamantaire, est un des plus ardents pamphlets français. Il ne faut point pour cela le taxer d’incohérence ni même de dualité[1] : ce fut en sa complexité un des génies le plus rigoureux et harmonieux qui soient : il fut une magnifique unité, un dans sa vie, un dans son œuvre, un donc en son esprit.

On pourrait, au contraire, déduire de l’exemple qu’il fournit à notre analyse qu’il n’y a nulle antinomie éternelle entre le socialisme et l’anarchie, surtout entre la dynamique socialiste, et l’idéal anarchiste. Collectiviste partisan de la discipline la plus souple, mais serrée, peut-on être, par exemple, devant les dangers sociaux de l’ère actuelle et rêver après une dictature collectiviste l’avénement du communisme libertaire. Leconte de Lisle, mort en 1894, n’avait point les raisons nécessaires d’expérimenter un tel état d’esprit, mais il l’a nourri en puissance et cette constatation peut être précieuse pour les consciences qui se cherchent. Le Poète a l’intuition géniale des états et des troubles d’esprit que subiront les masses dans le prochain avenir ; et dans une certaine mesure la poésie, en perpétuelle communion avec la nature, peut être une très sagace conseilleuse de politique, des politiques sages qui savent toujours se verlébrer des lois naturelles.

Marius-Ary Leblond.


  1. On l’a fait constamment, notamment Maurice Spronck (les Artistes littéraires).