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Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/475

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Sénat, à cette époque-là, jouissait de cinq bibliothécaires au moins, parmi lesquels je me rappelle Leconte de Lisle, Anatole France, Louis Ratisbonne, Charles Edmond, soit quatre littérateurs, et un jeune chartiste très compétent, M. Salomon, je crois, qui, selon ses illustres collègues, faisait seul toute leur besogne. Eh bien ! si les questeurs du Sénat voulaient bien sortir de la niaise et raide logique, s’ils se laissaient guider par une raison plus généreuse, ils décideraient de garder ce qu’il y a de bon dans cette tradition et ils institueraient des bibliothécaires honoraires : deux poètes, deux pensionnés à qui il serait à peu près interdit de pénétrer au Luxembourg, sinon le 1er janvier, pour saluer le président, et le 30 de chaque mois pour la formalité de la caisse.

« Qu’en pense M. Albert Sorel et ne voudrait-il pas suggérer cette élégante solution dans les conseils du Sénat ?

« Je me méfie que j’ai des lecteurs qui, tout en suivant cet article, maugréent : « Payer des poètes ! Donner trois mille francs, soit six mille, à des faux bibliothécaires ! Et qui est-ce qui fournira l’argent ? C’est toujours moi, bon public ! etc., etc. »

« Nous sommes d’accord sur un point : il faut décourager les littérateurs. Mais, cela, on le fait excellemment. En province, notamment, dès qu’un jeune homme monire des dispositions pour l’art où s’illustrèrent Hugo, Lamartine et Musset, on l’enveloppe tout de go des plus vigoureux ricanements, et l’on obtient, en général, le résultat que vous et moi nous souhaitons : l’enfant des Muses ne persiste que si vraiment il a une vocation plus forte que toutes les misères. Je crois donc que la première partie du problème est assez convenablement solutionnée. On tue, chaque année, un nombre considérable de jeunes littérateurs. Le public en doute, parce qu’il voit une surabondance de journalistes, mais, sauf quelques exceptions, le journaliste est un rédacteur analogue à ceux des ministères, ou encore aux employés à la correspondance dans les maisons de commerce. C’est un métier où l’on peut gagner honorablement sa vie, mais qui n’a rien à voir avec les choses d’art. « Experto crede Koberto. »

« Le poète lyrique, le philosophe, le créateur, celui qui vient se placer à la suite des maîtres qui constituent la littérature française, est, en réalité, assez rare ; c’est un être