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Page:Lebrun - Témoignage, 1945.djvu/257

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grandeurs et servitudes

homme pour lequel je ressentais une sympathie réelle bien que je ne le connusse pas particulièrement. Je le fis venir et je lui dis, mettant les mains sur ses épaules dans un geste que je voulais à la fois confiant et impératif :

— Voyons, mon cher Ministre, vous, un homme du Nord qui avez connu les douleurs de l’invasion, vous aimez votre pays.

— Oui, certes, me répondit-il.

— Eh bien ! repris-je, il faut le sauver : vous voyez dans quel état il est. Vous êtes encore mieux renseigné que moi. Vous savez que nous sommes exposés à bien des folies. On parle de l’occupation des ministères, que sais-je encore ! Vite, alertez toutes les forces de police qu’il faut, et que cela cesse ; il n’y a pas une heure à perdre.

Une réunion de plusieurs membres du gouvernement se tint au ministère de l’intérieur jusqu’à une heure avancée de la nuit. De nombreux pelotons de police mobile occupèrent les bâtiments publics de la capitale. Le lendemain, au réveil, tout rentrait dans l’ordre ; Paris avait retrouvé le calme.

Autre exemple encore. En août 1938, après avoir inauguré le théâtre antique de Vienne restauré et présidé en Avignon de magnifiques fêtes provençales, je vins me reposer quelques jours au vieux château de Lesdiguières, à Vizille, dans l’Isère. Si agréable que fût le site, ma pensée ne pouvait pas s’abstraire de l’examen des événements internationaux dont les télégrammes venus de nos postes à l’étranger m’apportaient l’écho chaque matin. J’étais préoccupé notamment des insuffisances de travail constatées dans nos usines. Je m’affligeais à la pensée qu’elles allaient fermer leurs portes simultanément pendant quinze jours, alors qu’au delà de nos frontières, en Allemagne notamment, on travaillait à force.

J’écrivis au président du Conseil une lettre pressante, lui demandant de trouver un remède à cette situation tragique. Je lui conseillai même, sentant bien la gravité de ma demande au regard de la situation politique intérieure, d’entrer en relation avec les chefs du parti socialiste et de les rallier aux mesures que je jugeais indispensables à la sécurité du pays. Dans les jours suivants M. Daladier, conscient de son