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NIOBÉ.

Et tes vagues regards où s’est éteint le jour,
Ton épaule superbe au sévère contour,
Tes larges flancs, si beaux dans leur splendeur royale,
Qu’ils brillaient à travers la pourpre orientale :
Et tes seins jaillissants, ces futurs nourriciers,
Des vengeurs de leur mère et des Dieux justiciers,
Tout est marbre ! Un dieu fend la pourpre de ta robe,
Et plus rien désormais aux yeux ne te dérobe !

Que ta douleur est belle, ô marbre sans pareil !
Non, jamais corps divins dorés par le soleil,
Dans les cités d’Hellas jamais blanches statues
De grâce et de jeunesse et d’amour revêtues,
Du sculpteur palpitant songes mélodieux,
Muets à notre oreille et qui chantent aux yeux ;
Jamais fronts doux et fiers où la joie étincelle
N’ont valu ce regard et ce cou qui chancelle,
Ces bras majestueux dans leur geste brisés,
Ces flancs si pleins de vie et d’efforts épuisés,
Ce corps où la beauté, cette flamme éternelle,
Triomphe de la mort et resplendit en elle !

On dirait à te voir, ô marbre désolé,
Que du ciseau sculpteur des larmes ont coulé !
Tu vis, tu vis encor ! Sous ta robe insensible
Ton cœur est dévoré d’un songe indestructible.
Tu vois de tes grands yeux vides comme la nuit
Tes enfants bien-aimés que la haine poursuit.
Ô pâle Tantalide, ô mère de détresse,