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KHIRÔN.

Ramènent tour à tour et les bœufs indolents
Dont la lance hâtive aiguillonne les flancs,
Les chèvres aux pieds sûrs, dédaigneuses des plaines,
Et les blanches brebis aux florissantes laines.
Sur de rustiques chars, les vierges aux bras nus
Jettent au vent du soir leurs rires ingénus,
Et tantôt, de narcisse et d’épis couronnées,
Célèbrent Dèmètèr en chansons alternées.
Durant l’éclat du jour, au milieu des joncs verts,
En d’agrestes cours d’eau, de platanes couverts,
Les unes ont lavé les toiles transparentes,
Les autres ont coupé les moissons odorantes,
Et toutes, délaissant la fontaine ou les champs,
Charmentau loin l’écho du doux bruit de leurs chants.

L’heure fuit, le ciel roule et la flamme recule.
La splendide vapeur du flottant crépuscule
S’épanche autour des chars, baignant d’un pur reflet
Ces bras où le sang luit sous la blancheur du lait,
Ces chastes seins, enclos sous le lin diaphane,
Qui jamais n’ont bondi sous une main profane,
Ces cheveux dénoués, beau voile, heureux trésor,
Que le vent amoureux déroule en boucles d’or.
Sur les blés, les tissus, l’une près l’autre assises,
Elles vont unissant leurs chansons indécises,
Leurs rires éclatants ! Et les jeunes pasteurs
S’empressent pour les voir, et par des mots flatteurs
Caressent en passant leur vanité cachée.
Tels, quittant la montagne en son repos couchée,