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KHIRÔN.

De ces monts fracassés couvrit la Terre antique.
Entre deux vastes blocs, au creux d’un noir vallon,
Non loin d’un bois épais que chérit Apollon,
Un antre offre aux regards sa cavité sonore.
Le seuil en est ouvert ; car tout mortel honore
Cet asile d’un sage, et l’on dit que les Dieux
De leur présence auguste ont consacré ces lieux.
Deux torches d’olivier, de leur flamme géante,
Rougissent les parois de la grotte béante.
Là, comme un habitant de l’Olympe éthéré,
Mais par le vol des ans fugitifs effleuré,
Khirôn aux quatre pieds, roi de la solitude,
Sur la peau d’un lion, couche rude et nocturne,
Est assis, et le jeune Aiakide, au beau corps,
Charme le grand vieillard d’harmonieux accords.
La lyre entre ses doigts chante comme l’haleine
De l’Euros au matin sur l’écumante plaine.
À ce bruit, l’Étranger marche d’un pas hâtif,
Et sur le seuil de pierre il s’arrête attentif.
Mais Khirôn l’aperçoit ; il délaisse sa couche ;
Un rire bienveillant illumine sa bouche ;
Il interrompt l’enfant à ses pieds interdit,
Et, saluant son hôte, il l’embrasse et lui dit :

— Orphée aux chants divins, que conçut Kalliope,
En une heure sacrée, aux vallons du Rhodope
Que baigne le Strymôn d’un cours aventureux !
Ô magnanime roi des Kylones heureux !
Dieu mortel de l’Hémos, qui vis le noir rivage,