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POÈMES ANTIQUES.

Remonter lentement aux cieux hyperborées !

— Ô Khirôn, dit Orphée, éloigne de ton cœur
Ces indignes regrets dont le sage est vainqueur.
Ton destin fut si beau parmi nos destins sombres,
Les siècles de la terre, à nos yeux couverts d’ombres,
Sous ton large regard ont passé si longtemps,
Et ta vie est si pleine, ô fils aîné du Temps,
Que l’auguste science en ton sein amassée
Doit calmer pour jamais ta grande âme blessée.
Daigne instruire plutôt mes esprits incertains :
Dis-moi des peuples morts les antiques destins,
Les luttes des héros et la gloire des sages,
Et le déroulement fatidique des âges ;
Dis-moi les Dieux armés contre les fils du Ciel,
Asseyant dans l’Olympe un empire éternel,
Et les vaincus tombant sous les monts qui s’écroulent,
Et Zeus précipitant ses triples feux qui roulent,
Et la Terre, attentive à ces combats géants,
Engloutissant les morts dans ses gouffres béants.

— La sagesse est en toi, fils d’une noble Muse !
Tu dis vrai, car Kronos à nos vœux se refuse :
Implacable, et toujours avide de son sang,
Il m’emporte-moi-même en son vol incessant,
Et les larmes jamais, dans sa fuite éternelle,
N’ont fléchi ce Dieu sourd qui nous fauche de l’aile.
Tu sais, tu sais déjà, noble Aède, — tes yeux
Ont lu jusques au fond de mon cœur soucieux, —