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LA MORT DE VALMIKI.

Le vent des hautes nuits a mordu ses poumons ;
Mais, sans plus retourner ni l’esprit ni la tête,
Il ne s’est arrêté qu’où le monde s’arrête.
Sous le vaste Figuier qui verdit respecté
De la neige hivernale et du torride été,
Croisant ses maigres mains sur le bâton d’érable,
Et vêtu de sa barbe épaisse et vénérable,
Il contemple, immobile, une dernière fois,
Les fleuves, les cités, et les lacs et les bois,
Les monts, piliers du ciel, et l’Océan sonore
D’où s’élance et fleurit le Rosier de l’aurore.

L’homme impassible voit cela, silencieux.

La Lumière sacrée envahit terre et cieux ;
Du zénith au brin d’herbe et du gouffre à la nue,
Elle vole, palpite, et nage et s’insinue,
Dorant d’un seul baiser clair, subtil, frais et doux,
Les oiseaux dans la mousse, et, sous les noirs bambous,
Les éléphants pensifs qui font frémir leurs rides
Au vol strident et vif des vertes cantharides,
Les radjahs et les chiens, Richis et Parias,
Et l’insecte invisible et les Himalayas.
Un rire éblouissant illumine le monde.
L’arome de la Vie inépuisable inonde
L’immensité du rêve énergique où Brahma
Se vit, se reconnut, resplendit et s’aima.

L’âme de Valmiki plonge dans cette gloire.