Page:Leconte de Lisle - Œuvres, Poèmes tragiques.djvu/114

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
100
POÈMES TRAGIQUES.

De ta puissance inerte et de ta foi muette.
À la main sans vigueur succède un bras qui fouette,
À l’aveugle un voyant, un mâle au décrépit ;
Car l’heure nous commande et ne veut nul répit,
Car Dieu, que le salut de ce monde intéresse,
Allume entre mes mains sa torche vengeresse ;
Et dans mon cœur saisi de joie, ivre d’horreur,
Sa patience à bout fait place à sa fureur !
C’est à moi de brandir la crosse qui t’échappe :
Par la grâce et le choix je suis Légat du Pape,
Je tranche la courroie et romps le joug ancien.
Prends donc. Lis, soumets-toi, va-t’en, tu n’es plus rien ! —

Hiéronymus lui dit : — L’éternel Adversaire,
Non content du blasphème, est par surcroît faussaire,
Et voici le renard qui vient après le loup ! —

Il lut, et tressaillit, et chancela du coup.
Puis, comme un pénitent eût fait d’une relique,
Humblement il baisa le Bref apostolique,
Le relut, et, signant trois fois son pâle front :

— Béni soit le Saint-Père, et béni soit l’affront
Qui me foudroie au bord de ma tombe prochaine !
Béni soit le Seigneur qui descelle ma chaîne !
Le poids en était lourd à mon cou faible et vieux,
Et l’ombre de la mort a passé dans mes yeux.
C’est le temps de partir, c’est le temps qu’on m’oublie.
Tout est dit, tout est bien. Frères, je vous délie.